La distribution en 2011…premier bilan

Je n’ai jamais adhéré au discours sur « la fin des hypers ». C’est un thème que les analystes ont essayé d’imposer pour justifier les mauvaises performances occasionnelles de Carrefour. Les grands centres commerciaux sont certes à la peine. Le gigantisme n’attire plus les foules, mais la réalité est tout autre : la distribution se diversifie, elle est plurielle dans ses formats et dans ses propositions commerciales. Et sur un marché de croissance restreint, chaque formule pique ses clients à une autre, le temps d’une innovation, d’une promo, d’une ouverture ou d’un ripolinage. Ce qui rend les enseignes performantes, sur le moyen et long terme, c’est moins le format, l’emplacement, la com occasionnelle que la compréhension de leur stratégie de fond et la lisibilité de leur promesse sociale, quels que soient les canaux de distribution. E. Leclerc : On a, trop facilement chez nous, attribué au développement rapide des « Drive » presqu’un tiers de notre croissance. A y regarder de près, c’est plus nuancé, je m’en expliquerai bientôt. Les hypers ont tenu la route et les concepts diversifiés qui reconquièrent nos galeries marchandes (parapharmacie, parfumerie, espace culture-multimédia) sont pratiquement tous dans le vert clair. Mais si on a pris un point de part de marché à Noël (0,7 sur l’année) et récupéré 542 000 clients supplémentaires cette fin d’année, c’est parce qu’on a été constant et surtout homogène dans l’offre commerciale. On a pu, ici ou là, se laisser chatouiller par un Intermarché qui avait les crocs ou lors d’une campagne promotionnelle d’Auchan ou Lidl. Dans le dernier mini panier Que Choisir (57 articles, est-ce bien représentatif ?), Hyper U (mais pas Système U) s’est même poussé du col sur la ligne d’arrivée. Mais globalement, jamais les écarts de prix n’ont été aussi substantiels et constants entre nos adhérents et le peloton (3,5 à 4 points). Ca a toujours été l’objectif des équipes à la manœuvre dans notre coopérative nationale. De Jean-Claude Pénicaud (direction alimentaire) et Hervé Jaud (non-alimentaire)…aux équipes de Pierre Chartier (Scamark) ou de Pascal Payraudeau (promoteur du Drive), l’unanimité s’est toujours imposée : « dès qu’on gagne des points (de marché ou de marge), il faut réinvestir en baisse de prix. »  Il n’y a pas, pour le moment, d’autre espérance de croissance possible qu’en se démarquant par les prix. Carrefour : Mis en veilleuse, le programme des relookages des méga Carrefour en « Carrefour Planet » ? La magie ne prend pas.  C’est le retour au principe de réalité. Les actionnaires ont commencé à comprendre que la distribution c’était d’abord du commerce avec des vendeurs et des opérations commerciales ! Le « cas Carrefour » est exemplaire. A chaque conférence de presse, les dirigeants se sont cherchés des excuses. Mais de tous ces propos mis en ligne, il reste une vérité : les pages de Google sur Carrefour ne parlent qu’aux actionnaires et à la communauté financière. A croire que les clients, ce n’est pas leur affaire. Alors, quand un Prioux reprend la main (quitte à sortir les vieux refrains) et recentre le discours de l’enseigne sur les prix, je dis à mes adhérents : remettez-vous en veille ! Prioux est du sérail. C’est un pro, reconnu par ses pairs. Il connaît les magasins, depuis les réserves jusqu’au front de vente. Certes, c’est un fieffé copieur (jusque dans le discours sur les fournisseurs, il colle à la peau). Il est suiveur (sa ligne d’horizon, ce sont les prix E. Leclerc, c’est lui qui le dit). Mais il est surtout saupoudreur. Dans sa nouvelle pub, il pratique le géo-pricing. Les prix sont comparés de magasin à magasin, dans un rayon de 15 km. Manière de protéger l’enseigne et de limiter la promesse. C’est peut-être le début du retour de Carrefour. Il reste à Prioux, maintenant, à relever le défi pour l’intégralité de ses magasins. Et la question pour lui sera, quel que soit son futur président, la capacité de Carrefour à unifier son image prix, de Carrefour City à Carrefour Discount ! Monoprix : On parle peu des Monoprix, et c’est vrai, on les voit peu dans nos provinces ou dans nos banlieues. Que voulez-vous, le pouvoir d’achat est si mal réparti dans notre pays. Mais la filiale de Casino et des Galeries Lafayette a bien marché en 2011. Et ils ont l’air d’en avoir sous le pied tant en projets d’agrandissement qu’en développement de concepts. La stratégie est cohérente. Monoprix n’investit pas sur l’image prix et refuse ce type de challenge. C’eût été la révolution : selon nos derniers relevés, leurs prix doivent se balader à plus de 12 points d’écart de ceux des centres E. Leclerc. Mais au moins, ne font-ils pas semblant et même s’ils investissent comme nous dans le multicanal (formule Drive, espace « walk-in », site marchand Internet), tout est cohérent, de la pub au merchandising, quel que soit le format et le service. Clientèle urbaine, couples de jeunes nouvellement friqués, tendance…magasins services, magasins plaisir. La visibilité est totale. Daniel Bernard, ancien dirigeant de Carrefour qui officie à HEC, pourra désormais disserter du « cas Monoprix » avec ses étudiants ! Darty :  En 2011, Darty a toussé. Baisse du marché des téléviseurs, nous dit-on, hésitation des consommateurs sur les produits « blanc », mais peut-être aussi absence d’agressivité sur le multimédia ! En tout cas, les équipes responsables du non-alimentaire au Galec restent très attentives aux opérations de cette enseigne, tant elle a constitué un modèle pionnier de stratégie multicanal. Jusqu’ici, elle a su développer une offre Internet alléchante et convaincre les clients de l’intérêt de se déplacer et de venir conclure l’achat en magasins pour bénéficier des spécialistes conseils (guidés par les marques ou cadres maison ?). Entre les partisans de tout basculer sur le Net (livraison à domicile) et ceux qui prônent le « click & mortar », Darty semblait avoir imaginé le bon « parcours client » : celui qui garantit aux consommateurs le meilleur service, aux salariés le maintien de leur emploi en magasin et aux actionnaires une bonne cotation de leur immobilier. A suivre donc en 2012… La Fnac : Moins lisible est la stratégie de la Fnac, au début de cette deuxième année Bompard. Quand le discours sur la « gestion des coûts » finit par occulter celui des « nouvelles pistes de croissance », c’est qu’il y a du tangage. La Fnac, pour moi, a longtemps été un modèle. D’ailleurs, moins pour son côté « agitateur culturel » que pour sa réactivité face aux nouvelles technologies. J’ai envié ses capacités d’innovation (billetterie spectacles, lecteurs numériques, etc.) et n’ai pas hésité à citer nos voisins (leur siège est à côté du nôtre) pour dynamiser nos propres équipes. Mais fallait-il, pour développer le multimédia, reléguer les anciens supports au contenu culturel (le livre, malgré sa garantie de marge) en fond de magasin et laisser tant de place aux « téléphonistes » ou aux « tablettistes » qui, comme Apple, Orange ou SFR, développent des réseaux concurrents sans que la Fnac puisse vraiment faire la différence ! Si je m’interroge, c’est que la réponse vaut pour nos Espaces Culture-Multimédia : quand le fournisseur devient votre concurrent, faut-il lui donner la meilleure place ? Système U : Les associés ont faim, ils veulent grandir vite et se déploient tous azimuts. Nos cousins de Système U (comme d’ailleurs ceux d’Intermarché) s’amusent eux aussi des commentaires sur la fin du modèle Hyper. Eux, ils veulent en être. Course au mètre carré, à la diversification, prise de part de marché, sauf sur le non-alimentaire où on les sent hésitants (pourtant s’ils veulent remplir leurs hypers ?). Je suis juste perplexe sur leur Drive « version picking ». Certains E. Leclerc qui ne disposent pas trop d’espace, envisagent cette formule aussi. Mais pour autant qu’elle rende service, je la crois coûteuse (« dépoter » la marchandise pour la « rempoter » en caddie spécial, devant les clients et dans des allées de petit magasin ???). Si le Drive convainc les consommateurs pressés et que ce service se développe (on peut imaginer 10 à 15 % du CA d’un hyper), la manière de les faire revenir en magasin sera tout de même d’en réorganiser la convivialité et le confort d’achat. Pas de leur mettre des chariots supplémentaires dans les pattes ! Distribution overall : Bon, tout ça pour dire qu’on fait un métier formidable. Tout bouge. A cause de la crise, mais grâce aussi aux nouvelles technologies. Plus rien d’acquis, plus de modèle unique, ni dans la performance, ni dans les conditions d’exploitation. C’est la leçon de 2011, on est dans l’économie réelle, pas dans les gloses de l’économie financière. Les analystes proposeront encore leur cotation, les consultants cracheront comme jamais de la copie stratégique…mais pour ceux qui veulent faire l’économie d’acheter toutes ces études, je retiens que ce qui compte, c’est d’être en magasin, d’effectuer soi-même le parcours du client, de penser en client. And the rest is noise.