
L'économie collaborative est-elle une menace pour les coopératives ?
Quel avenir au modèle coopératif et mutualiste à l'heure où l'internet accélère la diffusion de l'info au point que le consommateur ou l'adhérent s'y connaît parfois plus que l'administrateur ou le mandataire social chargé de le représenter ?
Comment adapter les formes historiques de management, ou par quoi les substituer, quand l'économie collaborative permet de se passer des strates décisionnaires classiques ?
Et pour les Coop de consommation, les mutuelles, tout autant que les Coop de production et de distribution, ce nouveau modèle d'organisation constitue-t-il un challenge, une opportunité ou une menace ?
Québec : 3e sommet mondial des coopératives
C'est pour échanger sur les perceptions et les expériences vécues dans le monde coopératif actuel, qu'à Québec s'est tenu, il y a quelques jours, ce 3e sommet mondial des coopératives.
Vu de l'extérieur, ça impressionne déjà.
Dans notre Europe, on a tendance à s'attribuer le monopole voire une représentation quasi-exclusive du modèle.
Qu'il s'agisse des coop issues du modèle proudhonien ou fourriériste (des Scoop aux mutuelles charentaises), ou des groupements bâtis à la fin du XIXe par des agriculteurs inspirés par le christianisme social (de la Cana d'Ancenis à la Coop de Landerneau), ou même encore des modèles suisses ou nordiques imbibés d'une rationalité toute protestante… on en oublierait que la Chine compte des coopératives avec plusieurs dizaines de millions d'adhérents, ou que l'Ukraine ne s'est pas limitée à choisir entre kolkhozes et sovkhozes à la fin de la Guerre froide.
Sans compter tous ces modèles qui fleurissent aujourd'hui en Afrique, en Amérique du Sud…et en Amérique du Nord !
Près de 3.000 personnes se sont donc pressées à ce sommet de Québec, témoins de la puissance, en tout cas de l'importance, des coopératives dans les domaines de la production agroalimentaire, de la banque, de l'assurance et de la distribution.
Grosse représentation des Français, probablement due à l'histoire de ce sommet, impulsé par le Mouvement Desjardins, avec une forte participation des mutuelles hexagonales.
Mais du coup, on retrouve aussi nos clivages français. Peu de coopératives de distribution représentées, démonstration, s'il en était nécessaire, que force reste (au moins dans l'imaginaire) à la noblesse de la production (voire même de la banque !).
Les grosses pointures de l'économie mondiale
Voilà un moment que je suivais ces travaux et j'étais donc très intéressé de pouvoir y prendre part.
Côté organisation : rien à redire. L'équipe du Sommet et la forte implication du Mouvement Desjardins ont permis d'offrir un écrin de prestige aux échanges. Efficace sans être "m'as-tu vu", le show était de bon niveau.
Le Sommet a été pensé "à l'américaine", c'est-à-dire qu'il laissait une part importante au "networking" permettant aux coopérateurs du Nord et du Sud de disposer de nombreux moments pour échanger des contacts. Les tables-rondes ne duraient pas plus d'une heure (ce qui a pu laisser sur leur faim quelques Français, dont je fus).
Le gouvernement québécois était mobilisé, on rêverait d'un tel soutien en France (coucou Madame Pinville !).

Sur le fond: Les intervenants étaient prestigieux : Jeremy Rifkin, Robert Reich, Joseph Stiglitz… J'ai trouvé ce dernier franchement pessimiste sur l'avenir de l'économie mondiale (il alerte sérieusement sur la situation de l'Allemagne, nous en reparlerons).
Gouvernance, digitalisation du travail, nouvelles formes de financement, gestion de l'innovation… on aurait pu trouver ces questionnements à Davos. Normal, toutes ces préoccupations concernent chaque employeur, chaque acteur de l'économie.
Là où l'exercice était intéressant, c'est que tout était analysé et débattu sous le prisme de la complexité organisationnelle / managériale inhérente au Mouvement coopératif. C'était rassurant de constater que nous sommes nombreux à nous couper les cheveux en quatre sur la répartition de la valeur ou sur l'harmonisation des prix entre physique et digital !
Digitalisation vs. projet coopératif : la guerre est-elle ouverte ?
J'ai trouvé que le propos de Pascal Vine (DG de Coop de France) résumait bien le défi majeur posé aux coopératives dans les prochaines années : "internet réinvente les coopératives, sans les coopératives".
Je me souviens des débuts du Mouvement E.Leclerc. Les numéros 1 de la distribution en France s'appelaient Coop. Ce mouvement, peuplé de milliers de points de vente, se revendiquait d'un consumérisme à toute épreuve. On y vendait de tout, cher, mais avec des systèmes de points qui masquaient la vérité des prix.
Avec l'arrivée de coopératives d'indépendants comme E.Leclerc et la transformation d'Unico en Système U, les coop de consommation sont sorties du jeu et ont fini par vendre au prix des succursalistes. Un modèle qui semblait idéologiquement "moins pur" avait chassé l'autre.
Aujourd'hui en Europe, beaucoup de coopératives n'ont plus de coopératives que le nom. Il y a l'envie, il y a la culture, il y a les valeurs, mais souvent la technostructure a pris le pas dans le mécanisme de décision et le paysan comme le commerçant sont souvent moins rémunérés et moins décideurs que les salariés du siège.
A l'heure où l'économie collaborative propose d'économiser les intermédiaires et organise horizontalement une prise de décision plus démocratique, on conçoit que cette forme d'ubérisation va remettre en cause le management de bien des mutuelles ou de coopératives (notamment agricoles).
Garder l'optimisme
Malgré tout, ce Sommet a aussi offert de beaux moments d'optimisme, notamment venant de nos amis et partenaires banquiers ! Ils gèrent nos risques, ils en ont la vision globale, et je les ai trouvés finalement plutôt confiants.
Sans nier la nécessité de s'adapter, leurs interventions ont bien illustré ce qui fait la force actuelle du mouvement coopératif : l'agilité, une capacité incomparable à se remettre en cause et une solidarité entre les membres pour mieux surmonter les difficultés.
Pour ma part, j'étais invité à plancher sur "qu'est-ce qui fait le succès de la première coopérative mondiale de commerçants ?", et c'est sur la nécessité de ne pas confondre indépendance et individualisme que j'ai axé mon intervention.
Et demain à Paris ?
Ce 3e Congrès mondial a incontestablement été une réussite. Ses coulisses furent toutes aussi intéressantes que les débats publics. Invité par Monique Leroux (la très dynamique Présidente de l'Alliance coopérative internationale) à prendre part à toute une série d'initiatives qui se tenaient en marge du Sommet, j'ai découvert un passionnant réseau de diplomatie parallèle.

Il serait vraiment bien qu'une telle rencontre puisse se tenir prochainement en Europe. Ne serait-ce que pour notre classe politique prenne conscience de l'importance d'un secteur fortement créateur d'emplois. Le Mouvement E.Leclerc est en tous les cas tout à fait disposé à donner le coup de main nécessaire pour cela !
2 Commentaires
Dans ce cadre quand publierez-vous votre intervention ?
Carmaux, Albi ou Castres pourraient parfaitement accueillir la prochaine rencontre !
FA