SOCIÉTÉ Actus / Débats

Hausse des prix des matières premières : la tendance et la bulle !

Florence de Guitarre©
Le sujet agite le G-20 et divise les experts. Les agriculteurs et les gestionnaires de L’Aide Alimentaire Internationale préconisent un « lâcher  de production » pour faire face aux prévisions d’augmentation de la demande alimentaire mondiale. La Commission Européenne, elle, veut limiter les instruments de régulation à la gestion des stocks. Et les acteurs du marché (analystes, traders, stockers…) ne veulent pas entendre parler des phénomènes spéculatifs dont ils s’obstinent à minimiser le rôle. Pour moi, pour nos acheteurs, on a affaire au contraire à une énorme bulle spéculative. Et si on nous joue aujourd’hui la politique de l’autruche, c’est qu’il y a vraiment beaucoup de monde qui a intérêt (malgré les émeutes au Maghreb, en Inde ou en Chine) à faire avaler aux consommateurs qu’ils devront s’habituer à payer leurs denrées alimentaires au prix fort. On nous tient le même discours qu’en 2008. Je voudrais vous soumettre quelques motifs de scepticisme sur la version qu’on nous sert aujourd’hui :  1)    Il y a, incontestablement, un accroissement de la demande mondiale de matières premières, notamment de la part des pays émergents : Chine, Russie, Brésil, Inde, etc. Les ressources se raréfient. La demande va durablement tirer à la hausse les prix de l’étain, du cuivre, etc., comme ceux du pétrole. Il y a bien une tendance inflationniste. Quid des produits agricoles dont le cycle de production se renouvelle ? Probablement aussi, mais cette tendance n’explique pas la volatilité et l’irrationalité des cours (variations de prix de 40 à 200 % sur quelques mois). On ne nous fera pas croire qu’Indiens ou Chinois ont changé leurs habitudes alimentaires en une aussi courte période et influenceraient ainsi le prix du lait ou du cacao. 2)    Les phénomènes climatiques (incendies et sécheresse en Russie, Kazakhstan, Ukraine, inondations en Chine et Australie) ? Oui, bien sûr. Mais c’est conjoncturel et pourquoi faudrait-il anticiper une inflation durable alors que les estimations les plus pessimistes ne sont pas alarmistes (la France continue d’exporter !!!). Si, cet été, les récoltes en Europe ou aux Etats-Unis sont bonnes, les cours (mais les tarifs fournisseurs ?) chuteront aussitôt. 3)    Les biocarburants ? Explication valable mais partielle. Même si on considère que la production de céréales alimentaires a été raréfiée au profit de la culture de céréales destinées à la combustion, ça n’explique pas la flambée des autres denrées. Et vu les écarts de rémunération versus les produits consommables, il y aura dès l’année prochaine, c’est sûr, une réaffectation des surfaces cultivées. 4)    Alors donc, pourquoi cette volatilité ? N’en déplaise au camarade Chalmin, éminent analyste, coordinateur du rapport Cyclope, elle n’est pas que l’écume des vagues. Si l’on en croit les salles de marchés, elle en est même l’accélérateur. De fait, il y a deux types de spéculateurs : -   D’abord, les professionnels qui valorisent leurs stocks (nos Beaucerons, nos Briards, nos Picards vont, sans travailler plus, faire une « double récolte » en retenant leurs ventes) quand d’autres alimentent la flambée en demandant à Cargill, à Louis Dreyfus et autres traders de les « couvrir » jusqu’à des prix prohibitifs, etc. -   Mais il y a aussi de nouveaux intervenants (fonds de pension, banques d’affaires, investisseurs institutionnels) qui placent leur argent sur ces matières premières compte tenu de la faible rémunération sur d’autres marchés. Ces fonds (et les fameux « dérivés »), suscitent plus de 50 % des transactions sur le marché des matières premières. Les économistes libéraux nous disent qu’ils participent de l’équilibre offre/demande. Peut-être. Mais leur motivation n’a aucun rapport avec un quelconque usage professionnel, quand les vrais professionnels pâtissent de ces variations erratiques de cours. Les organismes publics ou les Etats peuvent tenter de freiner l’inflation tendancielle en organisant la transparence des stocks. Mais pour s’attaquer à la volatilité de ces marchés, c’est à la spéculation financière qu’il faut s’attaquer. Nier ces pratiques, nier leur impact, c’est par avance vouer à l’échec toute politique de régulation physique des produits, telle que préconisée par la Commission Européenne ou la FAO. Quant à nous, quant à nos acheteurs, il faut donc faire le tri. Accepter de donner de l’air aux entreprises agricoles (éleveurs, par exemple) dont les coûts d’approvisionnement font perdre toute espérance de rentabilité si on ne lève pas le couvercle de la soupape. Mais s’agissant des produits de plus en plus transformés, il convient de ramener les prétentions tarifaires au seul impact de l’augmentation des matières premières, étaler les hausses pour ne pas cautionner leur anticipation. Et surtout, prévoir des clauses de révision de prix en cas de retournement des marchés (histoire qu’on ne nous refasse pas le coup des années 2008/2009 !!!).

8 Commentaires

Monsieur Leclerc,

Je salue le temps que vous arrivez à dégager pour alimenter votre blog.

Je suis entièrement d'accord avec votre analyse.

L'effet conjoncturel peut expliquer à l'instant t une flambée des matières premières.

On connait la volatilité de la bourse, mais ces effets d'annonce alimentent la bulle spéculative qui d'ailleurs s'étend à l'ensemble des matières premières, dans l'industrie nous rencontrons les mêmes problèmes de flambée des prix, sans pour autant que la demande l'explique ou la justifie.

La finance avait pour but originellement d'aider le développement industriel, aujourd'hui le système ne cherche qu'à s'alimenter lui même...

Il semble que les spéculateurs ont déjà oublié l'histoire de la Lehmann Brothers...

Bien à vous

Eric
Bonjour

Que pensez vous de la proposition de Sarkozy de faire en sorte que les "spéculateurs" justement, se voient obligé de prendre "physiquement" de la marchandise ? Voilà qui devrait les freiner non?

Mais d'ici à ce que cela se fasse...
Salut Mel!

Qui dirige la spéculation? Qui a le pouvoir de faire et défaire les cours mondiaux? Il y a bien quelqu'un qui doit les connaître...
Cela peut s'apparenter à un pouvoir supra national, qui essaye de réguler la croissance et d'en tirer profit.
Alors faut il combattre ou s'allier à ces financiers audacieux?
Demandez à un jeune qui sort de HEC ce qu'il envisage en terme de carrière. Il répondra financier. C'est ce qu'il y a de plus rémunérateur aujourd'hui.
Je ne suis pas certain que nos amis chinois soient enchantés par l'inflation du prix du pétrole. Cela peuT avoir des répercutions direct sur leurs exportations et la croissance.
Mécaniquement le blé augmente quand le pétrole augmente...
Alors se pose la question du blocage des salaires. Peut on vivre avec des salaires bloqués face à la spéculation qui fait s'envoler les prix?
je trouve amusant (mais je ris jaune ) que quelqu'un qui participe tant à l'économie libérale et au dogme si peu critiqué du marché libre et non faussé puisse se faire l'apôtre de l'indignation face à ce genre de phénomènes... Dites moi que vous n'avez pas d'actions et je vous verrai crédible... Sinon.. abstenez vous de jouer les candides ou plutôt... Les jésuites !
Monsieur Leclerc,

Je salue le temps que vous arrivez à dégager pour alimenter votre blog.

Je suis entièrement d'accord avec votre analyse.

L'effet conjoncturel peut expliquer à l'instant t une flambée des matières premières.

On connait la volatilité de la bourse, mais ces effets d'annonce alimentent la bulle spéculative qui d'ailleurs s'étend à l'ensemble des matières premières, dans l'industrie nous rencontrons les mêmes problèmes de flambée des prix, sans pour autant que la demande l'explique ou la justifie.

La finance avait pour but originellement d'aider le développement industriel, aujourd'hui le système ne cherche qu'à s'alimenter lui même...

Il semble que les spéculateurs ont déjà oublié l'histoire de la Lehmann Brothers...

Bien à vous

Eric
Bonjour

Que pensez vous de la proposition de Sarkozy de faire en sorte que les "spéculateurs" justement, se voient obligé de prendre "physiquement" de la marchandise ? Voilà qui devrait les freiner non?

Mais d'ici à ce que cela se fasse...
Salut Mel!

Qui dirige la spéculation? Qui a le pouvoir de faire et défaire les cours mondiaux? Il y a bien quelqu'un qui doit les connaître...
Cela peut s'apparenter à un pouvoir supra national, qui essaye de réguler la croissance et d'en tirer profit.
Alors faut il combattre ou s'allier à ces financiers audacieux?
Demandez à un jeune qui sort de HEC ce qu'il envisage en terme de carrière. Il répondra financier. C'est ce qu'il y a de plus rémunérateur aujourd'hui.
Je ne suis pas certain que nos amis chinois soient enchantés par l'inflation du prix du pétrole. Cela peuT avoir des répercutions direct sur leurs exportations et la croissance.
Mécaniquement le blé augmente quand le pétrole augmente...
Alors se pose la question du blocage des salaires. Peut on vivre avec des salaires bloqués face à la spéculation qui fait s'envoler les prix?
je trouve amusant (mais je ris jaune ) que quelqu'un qui participe tant à l'économie libérale et au dogme si peu critiqué du marché libre et non faussé puisse se faire l'apôtre de l'indignation face à ce genre de phénomènes... Dites moi que vous n'avez pas d'actions et je vous verrai crédible... Sinon.. abstenez vous de jouer les candides ou plutôt... Les jésuites !

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