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BD : « Palmer en Bretagne », enquête de René Pétillon

Il faut tout de suite lever une ambiguïté : après le formidable succès de « L’Enquête Corse », le lecteur ne doit pas s’attendre à un opus du type : « Les indépendantistes bretons gagnent les élections ». Non, « Palmer en Bretagne », c’est d’abord une enquête du détective Palmer, et la Bretagne n’est là que comme élément contextuel, comme prétexte, comme territoire.

Passé cette ambiguïté, le lecteur ne sera pas déçu.

D’abord, l’intrigue ! C’est la caricature d’une enquête policière. On est dans l’esprit des anti-héros. René Pétillon ne l’a jamais caché : son Palmer est un concentré des héros de la littérature policière (Conan Doyle, Maurice Leblanc ou Gaston Leroux). Tellement concentré que notre auteur a décidé de le traiter en mode minimaliste. En un mot comme en cent, pour paraphraser les grands critiques d’art contemporain, c’est à nous, avides lecteurs, d’imaginer la richesse intellectuelle, la fulgurance des raisonnements, le QI…de cette larve pathétique, mais de ce fait très sympathique. Hercule Poirot à côté de Palmer, c’est du baroque, du kitch, du stuc et du toc !

Le détective Palmer donc, débarque sur la côte (faudra bien que les gens du sud acceptent que l’appellation concerne aussi nos rivages de l’ouest). Et c’est dans une de ces grandes demeures bourgeoises qui hérissent parfois notre littoral que deux collectionneurs friqués, complètement addict,  surenchérissent l’un sur l’autre (au risque de se faire manipuler par leur hôtesse) pour acquérir une toile de maître qui aurait selon moi des petits airs de Tal Coat (ah bon, vous ne connaissez pas ce grand peintre breton ?).

Toute ressemblance avec des personnes connues (Bernard Arnault ou François Pinault, par exemple) n’a évidemment pas lieu d’être. Les personnages sont des archétypes. Mais l’univers est le leur. Leur « non-dialogue » est un régal. Et l’hôtesse, elle, a franchement des airs de Christine Lagarde. Le sieur René aura beau nous avoir démenti, le dessinateur aime les grandes bourgeoises. Elle est très bien croquée.

L’album fait déjà grand bruit en Bretagne. Pourtant, est-il à peine sorti sur les étals ! C’est que la représentation du Breton émeut toujours les Bretons. Que voulez-vous, des histoires juives racontées par des Juifs, rien à dire. Des histoires sur les Bretons racontées par des Français, c’est toujours de l’outrance. Des histoires de Bretons racontées par des Bretons (Pétillon est le digne fils du boulanger de Lesneven, Finistère !), ça produit parfois des météos capricieuses !

Tout le monde donc s’y est mis, du lecteur d’Ouest France ou du Télégramme pour faire son commentaire. Je me risque donc au mien.

Cette œuvre magistrale aborde deux sujets sensibles en Bretagne.

-       Les rapports entre les saisonniers (touristes) et les autochtones. Le sujet est merveilleusement traité. Même pas besoin de caricaturer, en quelques cases, on a tout : la suffisance du Parisien, matant les ploucs d’un regard méprisant ou franchement condescendant (ah, les belles coiffes, le beau homard...). Et la fascination des locaux pour ce beau monde qui s’étale le temps de faire marcher le commerce local ! Tout est là.

-       Les algues vertes : on ne les voit pas, mais « ça pue ». Pas sûr que même avec leur humour, mes amis Roué ou Picard (Président de « Cochon de Bretagne » et féru de BD) ne riront pas jaune. Mais ici, nos producteurs sont tellement caricaturés qu’on ne pourra qu’en rigoler. Et vous trouverez dans cette histoire un condensé de quatre ans d’articles en page agricole d’Ouest France, avec ce leitmotiv professionnel « c’est pas nous » !

Il n’y a qu’un truc pour lequel René Pétillon va devoir revoir sa copie, c’est sa connaissance des marées. Je sais, cher René, que de la mer tu ne connais que la vue ou des histoires de comptoir. Cela fait longtemps qu’à Port Manech, les touristes ont remplacé la plupart des péchoux. N’empêche, une marée ça dure grosso modo six heures. Et ton Palmer, scotché sur son rocher, n’aurait, dans notre monde réel, pas mis aussi longtemps pour s’en déscotcher si tu avais tenu compte des éphémérides publiés dans l’Almanach du marin breton. Avec toi, c’est pleine mer quasiment toute la nuit, faudra revoir ça mon gars !

Reste que René Pétillon a respecté le contrat (il est des nôtres !). Si en Bretagne, comme disait quelqu’un, il ne pleut que sur les cons, sachez, cher lecteur, que dans « Palmer en Bretagne », la pluie ne tombe que sur trois pages. Dans les cinquante et uns autres feuillets, la Bretagne brille de ses marchés, de ses bagad et de ses fest-noz.

Ils ont des chapeaux ronds, vive les Bretons !

A lire, absolument !

4 Commentaires

Hello Michel Edouard

Je découvre ton blog par le plus grand des hasards
et je le trouve bien conçu.
La chronique de l'album de René est épatante
Bravo de défendre notre "9éme Art" comme tu le fais.
Amitiés!
Rodolphe

PS : on ne s'est pas croisés depuis une éternité. Peut-être cette année à Angoulême?
C'est un beau sujet qui peut provoquer de nombreux parallèles explosifs. sur les personnes, sur les relations, sur les comportements. On y voit des patrons, des lobbys, les clients, usagers, consommateurs de produits ou de sociétés. tout un gratin;
Mais comment briser cela dans la réalité ? la caricature, l'exposition ,le reflet ne seraient pas un reflet de nous m^me ?
Monsieur Leclerc,
Je souhaiterais savoir si il existe une possibilité de pouvoir vous contacter directement. Vous incarnez l'image d'un grand patron qui aime s'affranchir des conventions. Ma démarche est audacieuse à l'image du projet que souhaiterais vous soumettre mais je ne fait pas beaucoup d'illusions sur les chances que nous puissions échanger un jour sur ce projet. Dans tous les cas je n'aurais pas de regret car j'aurais essayé.
Dans l'attente de votre réponse, veuillez accepter mes sincères salutations.

Frédéric Gausset
Bonjour Frédéric, merci pour votre message. Si vous souhaitez me faire parvenir des informations par mail vous pouvez les adresser à blog2mel@gmail.com Bien à vous MEL

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