
La loi Macron, Michel Rocard et l'avenir des coopératives
Le Monde publie ce jour un point de vue que je cosigne avec l'ancien Premier ministre Michel Rocard. Même si à cette heure les risques qui pesaient sur les coopératives dans l'article 10A de la Loi Macron sont très atténués, les débats de ces derniers mois ont montré que le modèle coopératif était finalement assez peu connu de nos décideurs et que les menaces couvaient.
J’ai proposé à Michel Rocard de co-écrire cette tribune. Il a été l’homme politique le plus engagé aux côtés des coopératives et des entrepreneurs de l’économie sociale. Dans les années 60, il n’avait pas hésité à accompagner mon père, Edouard, et de jeunes agriculteurs, pour organiser sur Paris les premiers circuits courts de vente d’artichauts et choux-fleurs bretons. Dans ma propre formation, il a beaucoup compté et c’est sous son influence que j’avais, plus jeune, adhéré au PSU. En tant qu’ancien auditeur de ses cours à Paris Dauphine, et de ses interventions enflammées à La Mutualité, je ne peux que lui être reconnaissant d’avoir accepté d’unir nos forces pour défendre les spécificités du statut coopératif.
Les débats qui se sont tenus durant l'examen de la loi Macron ont montré que beaucoup de leaders d'opinion (élus, hauts fonctionnaires, analystes ou journalistes) n'avaient pas toujours une vision très précise du fonctionnement et de la place du secteur coopératif. Beaucoup assimilaient le statut des coopératives à celui d'organisme franchiseur.
D'autres cantonnaient l'économie sociale à un réseau d'entreprises, forcément petites, non marchandes, peuplées de bénévoles plus que de salariés, et agissant quasi exclusivement dans les services à la personne ou l'action sanitaire et sociale.
Un million d'emplois en France
Si, effectivement, l'économie sociale inclut ces pratiques et ces formes d'organisation, et même si elles en constituent la matrice originelle (par les coopératives ouvrières et les coopératives de consommateurs), ce secteur fait cœxister différents projets qui revendiquent le primat de la finalité sociale dans leur action économique.
Et notamment des grandes coopératives agricoles et des groupements de commerçants indépendants, fers de lance de l'économie française.
Avec quelque 250 millions de salariés, les coopératives sont des acteurs majeurs et très concurrentiels de l'économie mondiale. Les 300 plus grandes de la planète cumulent un chiffre d'affaires équivalent au neuvième rang mondial en termes de produit intérieur brut, devançant l'Inde ou la Russie ! En France, 21 000 coopératives (de producteurs, de salariés, de consommateurs, d'agriculteurs, de commerçants…) fournissent plus d'un million d'emplois et génèrent environ 300 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
La pensée libérale a certes promu l'individualisme, l'esprit d'initiative et le risque, mais elle entretient une compétition darwinienne qui génère beaucoup de casse sociale. La pensée coopérative s'inspire d'un même esprit d'entreprise, mais compense les difficultés d'accès aux capitaux en regroupant les compétences et en organisant le travail en réseau. Elle assume d'être au service de ses membres – elle ne fait pas de profit pour elle-même – et de ses utilisateurs.
On ne s'engage pas dans le modèle coopératif par hasard et on n'y reste pas sans de solides convictions. L'attachement aux valeurs démocratiques et solidaires, la volonté de participer au développement du progrès social sont autant de principes qu'il convient de partager avant de se lancer dans une telle association.
Cela se traduit concrètement par des règles de gouvernance parfois complexes, mais qui nourrissent au quotidien l'affectio societatis – c'est-à-dire l'égalité selon le principe " un homme = une voix " –, la transparence dans la gestion des outils communs et l'investissement bénévole dans la vie collective…
Ces exigences font du système coopératif un modèle accessible d'entrepreneuriat et un vecteur d'ascension sociale, permettant par exemple à des salariés de devenir chefs d'entreprise. Gouvernance décentralisée, plus grande place laissée à l'expérimentation, caractère non " opéable " des structures…
Voilà autant d'atouts qui font du Mouvement Desjardins (Canada), de Mondragon (Espagne), de HealthPartners (Etats-Unis), de Fonterra (Nouvelle-Zélande), de Zenkyoren (Japon), de Coop Italia ou d'E.Leclerc en France des chefs de file dans de nombreux secteurs de l'économie mondiale.
A l'heure des grands affrontements économiques entre mastodontes du Nasdaq ou du CAC 40, les coopératives doivent aujourd'hui faire front et démontrer leurs capacités d'adaptation. Elles doivent évoluer !
Emmanuel Macron a raison de dire qu'elles ne doivent pas cultiver la rente. Mais, a contrario, les laminer, ou simplement nier leur différence, laisserait la part trop belle à des entreprises anonymes et à but strictement financier.
Défis relevés
Nous ne contestons pas à l'Etat le droit de réguler, de veiller au respect des contrats et des conditions de concurrence. Mais nous nous opposerons toujours à toute discrimination à l'encontre des organisations coopérative.
Sans plaider naïvement les vertus d'une association capital-travail, constatons que l'esprit coopératif, dans l'histoire française du commerce comme de l'agriculture ou de la banque, a su relever les défis de la modernité et d'une concurrence accrue.
Alors que les nouvelles demandes sociales exigent que les entreprises inscrivent leur action dans un projet collectif plus responsable, les coopératives doivent pouvoir librement jouer leur partition sans obstacles spécifiques par rapport à leurs concurrentes capitalistes.
La défense des coopératives est bien un combat politique d'aujourd'hui !"
Michel Rocard et Michel-Edouard Leclerc
7 Commentaires
Juste une question reste en suspens, de quelle "rente" le ministre Macron parle t-il à propos des coopératives? Sa formation de fonctionnaire pantouflard (a t'il seulement démissionné de la fonction publique avant de devenir banquier chez Rothschild???) le crédite d'une véritable autorité en matière de "rentes", mais de quelle rente est-il question à propos des coopératives?
Si vous avez une réponse, même psychanalytique sur le sujet, je suis preneur, parce que vraiment, je ne saisis pas!
Merci pour ces explications. En ces périodes très très moroses vos propos pédagogiques sont aussi revitalisant que le modèle qu'ils décrivent : une société ouverte! Il eut été dommage que l'incurie et/ou l'ignorance -cette dernière est maintenant corrigée par votre article- détruisent les coopératives et le dynamisme économique qu'elles permettent.
Néanmoins, dans le préambule à la reproduction de cet article publié dans Le Monde, vous évoquez l'atténuation des risques initialement présents dans l'article 10 de la Loi Macron. Atténuation n'est pas disparition! Savez vous à qui aurait profité le "crime" commis contre les coopératives et les entrepreneurs indépendants qui les constituent? N'avez vous pas peur qu'ils reviennent à la charge?
Merci pour votre/vos retours.
Bien à vous.
Grégoire