ÉCONOMIE Actus / Débats

Emmanuel Macron et Bruno Lasserre ouvrent le bal des négociations commerciales

Mardi se tenait la traditionnelle journée LSA sur les négociations commerciales. Tout le gratin du commerce s'y pressait (sauf la ministre en charge du secteur avec laquelle c’était l’occasion rêvée de faire connaissance, mais qui s’était fait représenter par Emmanuel Macron sic !) … Ambiance décontractée mais studieuse, le temps de prendre le pouls des relations entre distributeurs et fournisseurs Et pour l'Etat de réaffirmer ses pouvoirs, bien sûr ! J’avoue, ce qui m’a scié, ce sont les deux interventions politiques du jour.

Emmanuel Macron adopte la posture du gendarme

J’aime bien Macron, quelles que soient nos disputes. Je l’aurais attendu fédérateur, stimulant, innovant sur le thème des relations industrie/commerce … que nenni ! Il nous a commenté le discours-type de la DGGCRF...

Certes, il a reconnu le rôle positif de la distribution et prêché les vertus de l’apaisement (il ne parlait évidemment pas de la vie du PS !). Mais passé ce cap, même s’il n’a pas élevé le ton, il n’avait de conviction que pour son pouvoir de « contrôle », « de sanction », « d’assignation » : « je demande à la DGCCRF de se pencher dès maintenant sur les négos », « je saisirai la justice à chaque fois que nécessaire ». Stéphane Le Foll, lui, en pleine crise agricole cet été, avait su se rappeler l’existence du Médiateur. 

Inspiré par les vertus anglo-saxonnes du "name & shame", rôle qu’il nous avait jusqu’ici épargné, le Ministre annonça même qu'à la fin de l'année, il publierait une liste des mauvais payeurs. Parmi les auditeurs de cette adresse ministérielle, ils s’en trouvèrent, à côté de moi, pour ironiser et susurrer qu’au lieu de donner des leçons, l'Etat et les collectivités locales pourraient y avoir une place de choix !

Quand un ministre libéral s’invite à réguler les négos, on pourrait imaginer qu’il se pare d’une certaine neutralité. Et bien non ! Plus besoin d’arbitrage ni d’expertise, la négociation est par avance jugée déséquilibrée du seul fait de la puissance de la distribution.

J'ai bien aimé le tacle de Vincent Mignot (PDG d'Auchan) : le ministre n’avait pas dû consulter la liste des participants à cette rencontre LSA avant de dire une telle énormité ! Coca-Cola, Unilever ou L'Oréal passeront difficilement pour des victimes de la grande distribution. Ils n’en demandent d’ailleurs pas tant. Manifestement, le ministre n’a jamais fait de stage dans une équipe de négo, ni eu à justifier auprès de ses clients ou de ses mandants, l’absence d’Ariel ou de Coca dans les rayons.

Plus globalement sur les relations industrie/commerce, Emmanuel Macron a tenu des propos plutôt moralisateurs : « il n’y a pas de réussite qui ne soit partagée ». Sentiment louable, mais curieuse conception du fonctionnement d’un marché et de l’esprit de compétition. Ne pas entraver son concurrent ou son fournisseur, soit, mais s’entendre sur le partage de la valeur, voilà qui devrait faire hérisser le poil de Monsieur Lasserre - qui, tiens, tiens, est justement l'un des orateurs suivants.

J’ai des doutes sur ce concept. C’est toute l’ambiguïté du discours sur les filières, quand l’amont rejette la responsabilité de sa sous-performance sur l’aval, et continue de réclamer son dû, passé le temps du contrat.

Elections et politique obligent, Emmanuel Macron semble être désormais sensible à ce discours puisqu’il annonce à son tour un énième rapport sur le partage de la valeur ajoutée dans la relation industrie/commerce. Les distributeurs, habitués à rendre des comptes à l'Observatoire des prix et des marges, le redouteront moins que les industriels qui s'épanouissaient heureux dans l'opacité !

Bruno Lasserre distribue les bons points

Le Président de l'Autorité de la concurrence a un talent certain pour manier l'humour et le sous-entendu sans jamais heurter les règles de la bonne éducation. Même quand il incite ouvertement les industriels à se dénoncer les uns les autres en échange de sa clémence, on pourrait trouver sa méthode élégante.

Une chose est plus dérangeante : c'est quand il décide de fixer l'agenda de travail des parlementaires.

Je n'ai pas été le seul à être interloqué par le "deux poids-deux mesures" du Président de l'Autorité.

Si Bruno Lasserre accepte de se plier au juge qui lui a demandé de remballer son injonction structurelle (« il faut savoir être fair play ! »), il ne fait pas le même cas du pouvoir parlementaire et promet de contourner le rejet par les élus de ses propositions initiales sur les affiliations de commerçants en y revenant au moyen d'avis et d'auditions...

Il y a des entêtements qui finissent par être louches.

Tout le monde sait que l’amendement « Brottes » était le sien. Tout le monde sait qu’il visait principalement le démembrement d’Intermarché et de E. Leclerc. Voté d’abord en séance sans débat contradictoire ni étude d'impact, le texte avait été rejeté par la majorité comme par l’opposition au Sénat. Même Michel Rocard, père spirituel de Macron, s’était indigné du traitement réservé aux coopératives.

Je ne voudrais pas à mon tour paraître inélégant avec Monsieur Lasserre. Mais on me permettra de rappeler à ce trop gourmand Raminagrobis qu’il y a quelque incongruité pour un magistrat à vouloir limiter à 7 ans la liberté d’association entre commerçants, tout en se faisant octroyer 15 années d'un règne sans partage sur les plus hautes institutions chargées de la concurrence. Mobilité, mobilité, avez-vous dit ?

8 Commentaires

Délectable analyse cher MEL, délectable!
On connaissait depuis les années 50 le concept "d'idiot utile"! Les comportement de l'énarchie forcent à constater que celui "d'intelligent inutile" lui sied à merveille.
Quoique si le deuxième adjectif ne fait pas doute, le premier épithète est finalement discutable. Bon élève ne rime pas avec intelligence et ces gens là qui ne savent que dépenser un argent qu'ils sont incapables de gagner nous saoulent.
Gilles
Monsieur Leclerc bonjour,
La valse-hésitation dont vous vous étonnez de la part du Ministre Macron ne fait pas que mettre en évidence l'absence inadmissible du ministre en charge du commerce à cette occasion. Elle reflète les errements d'un politique totalement démonétisé et définitivement hors sujet s'agissant de la vie des entreprises en général et de celles du commerce en particulier ; c'est honteux.
Faut-il se rassurer en se disant que pareille inadéquation aux besoins est partagée par la grande majorité des secteurs de l'économie?!?!
Bon courage à vous pour la suite.
20 après la dérégulation du secteur des telecoms qu avait mis en place Mr Lasserre, il y a toujours moins d'acteurs, même en tenant compte des "supers centrales", chez les opérateurs téléphoniques que dans la distrib'.

Il est typiquement l' énarque qui n'a connu que l'administration toute sa carrière...
Ce n'est pas indispensable d'avoir toujours les principaux acteurs quand d'autres suffisent largement et que de plus l'ensemble de l'activité ne peut se résumer à un seul état de fait ni une seule session et que de toute façon les résultats des négociations avant leur validation et nouvelle version en cas de refus ne le sont qu'après l'aval de l'ensemble des intervenants institutionnels obligatoire sans passer de quelque façon que se soit en dehors de ses limites ! comprendre l'importance des engagements et leurs conséquences c'est par obligation prévoir et anticiper les différentes phases possibles inclus dans des plans et programmes internationaux de la mondialisation !
Pour des négociations qualifiée et solvable c'est essentiel et préparer les suivantes !
Bonjour Michel-Edouard Leclerc,
comment y comprendre quelque chose!
L'entente serait prohibée dés lors qu'elle ne serait pas favorable aux consommateurs. Ce monsieur Lasserre, qui a été formé dans l'école créée sur les cendres de l'Ecole des cadres d'Uriage, incite les industriels à se dénoncer les uns les autres...en échange de sa clémence! Dénonciation et clémence ; la filiation historique laisse perplexe.
L'été dernier, l'autorité publique par l'action conjointe du Ministre de l'agriculture et celle du principale locataire de Bercy organisait pourtant elle-même l'entente afin de soutenir les cours du porc : rien ne dit que cela était favorable aux consommateurs! Cette entente était organisé pour les éleveurs.
Où était alors ce monsieur Lasserre??? Il regardait sans doute ailleurs, il n'était probablement pas au courant... Chez ces gens là, histoire ne peut que bégayer.
????? Si tout cela est exact, un fonctionnaire comme Bruno Lasserre peut contourner la volonté du parlement -légitime et légal- en créant de la doctrine via un avis dont l'élaboration se fait dans le secret de ses murs!?!? Le job a l'air plutôt fun et du coup je ne comprends pas bien le silence de cette "autorité proclamée haute" lorsque l'été dernier le gouvernement demandait aux distributeurs de s'entendre entre eux sur les prix payés aux éleveurs. Bruno Lasserre aurait pu pondre un avis, s'auto-saisissant pour dire que là c'était bien! C'est quand même du grand n'importe quoi!
Quelle pitrerie que les personnages de cet acabit.
Si beaucoup d'énarques sont assez déconnectés, tous ne sont pas aussi caricaturalement "à l'ouest".
Jacques
"Petit" jeux entre amsi"
Emmanuel Macron - que j'apprécie par ailleurs - serait-il en phase de phagocitation par ses pères et compères du pouvoir ? Serait-ce, en visant les distributeurs et en touchant la plèbe, une décalcomani-sation de cette action : donner du pain et des jeux à la cité ? Peut-être l'expérience Rotshilld d'un autre côté lui rappelle que les exigences de rentabilités exigés par les grands détenteurs de capitaux des grandes sociétés multinationales (donc sans nation par nature et hors du pouvoir français) est plutôt de l'ordre de 16%. La négo est-elle pipée d'avance ? Faites vos jeux !
Ceci dit, l'expérience récente sur des produits vitaux (médicaments) et les discours qui font débat outre-atlantique à l'occasion des pré-primaires sur un secteur tout aussi important que la GD ont de quoi faire frémir nos politiques.... et plus encore et avant tout le quidam qui doit se soigner et s'alimenter. C'est vrai que la gestion d'une sécu ne pourrait soutenir bien longtemps l'explosion du prix d'un certain nombre de premier dit de base. Exemple : Daraprim (traitement de la toxoplasmose) passé recemment de 12.10 euros à 730 euros !!! L'avantage de prix libre aux US, d'amortissement des investissements, de monopole et de population... un peu prisonnière.
Oufff, l'état veille sur l'aval !!! et adoucie le sous-aval. On en est pas là, Ariel, Skip, Coca, Mach 3... c'est pour les manants.... du consommable de masse indolore.
Coca Cola est à Socx (Dunkerque) depuis 26 ans, zone Franche à l'époque, mais entreprise locale déficitaire. Pendant ce temps là (1989) Buffet faisait ses emplettes et multipliait par 5 son investissement en 10 ans !!!
Ouaipp de l'art de se pencher sur les négociations.
Dites moi Monsieur Leclerc, Vu le cours des matières premières et celui de l'acier notamment (Voir Cours Arcelor Mittal), est-ce que les conserves vont voir prix leur s'ajuster ?
Rions entre les couleuvres à mettre en boîte avant de les avaler, les Césars à auréoler, les serpents qui sortent la tête au son du pipeau et peut être un Spartacus gladiateur
;-)
Si le mot combat n'est pas le plus approprié en soi - parce que signe de violence - pour la négociation, force reste de constater que nos régnants n'ont pas beaucoup d'imagination et/ou de volonté.... sauf à s'en prendre comme d'habitude, en Différé ou en Directe, au plus exposé qui va faire et refaire l'audimat et la cote facile. Quand aux leçons à donner ? Ouaipp, rappelez moi l'histoire des Mistral Franco-Russo-Egyptiens ou la dernière d'EDF - dont l'état est bien pourvu - qui réclame à tous les français souscripteurs des antécédents de 2012 en octobre 2015 !!!!
Dixit "J’ai des doutes sur ce concept. C’est toute l’ambiguïté du discours sur les filières, quand l’amont rejette la responsabilité de sa sous-performance sur l’aval, et continue de réclamer son dû, passé le temps du contrat."
Ahhh les coquins
Quelle purge ces énarques!
Mais laissons des parlementaires (Sénat) dirent à Macron ce ce qu'ils pensent de Lasserre. C'était le 4 mars dernier dans le cadre des travaux de la Commission spéciale. Tout est dit de la volonté de pouvoir au mépris de la représentation nationale. Le poisson pourrit toujours par la tête...

"M. Jean Bizet. - Votre posture est constructive. Je m'en réjouis. En revanche, je suis sidéré du poids que vous accordez à l'Autorité de la concurrence.

J'ai, avec le président Larcher, dit au président Junker les craintes que m'inspire cet organisme. La manière dont il appréhende le concept communautaire de marché pertinent peut être très destructrice. L'Autorité de la concurrence échappe au contrôle parlementaire et à l'autorité de l'État. Vous nous appelez à avoir des idées nouvelles dans la situation présente... et vos mesures déboucheront sur l'embauche de quarante fonctionnaires et une augmentation du budget de l'Autorité de 7 millions d'euros !

Je suis aussi très étonné que vous mettiez les notaires sous la tutelle de l'Autorité de la concurrence - en charge des activités marchandes - pour la définition de la cartographie, alors que l'Allemagne, notre principal partenaire, a fait très attention à placer son notariat hors du champ de compétence de l'organisme fédéral correspondant. Si le Sénat pouvait cantonner l'Autorité de la concurrence à un rôle mineur, il ferait oeuvre utile. Dans un certain nombre de dossiers agroalimentaires, elle a contribué à couper la tête à des champions français ou européens émergents.

Mme Nicole Bricq. - Qui l'a créée ?

M. Jean Bizet. - Je sais qui a créé l'Autorité de la concurrence : quand on fait une sottise, on la corrige. N'en faites pas une autre, monsieur le Ministre !

M. Michel Raison. - Je m'associe aux observations de Jean Bizet. L'Autorité de la concurrence va devenir un État dans l'État. La garde des Sceaux n'était pas à l'Assemblée nationale lors de ce débat, c'est regrettable. Titulaire d'un pouvoir d'injonction structurelle, l'Autorité pourra également accéder à des factures détaillées sans contrôle judiciaire. La complexité du dispositif prévu est également problématique. On a créé une usine à gaz ! S'il faut des propositions de l'Autorité de la concurrence pour modifier la carte judiciaire, nous avons du souci à nous faire. Nous n'inventons pas l'embauche des quarante fonctionnaires : le président Lasserre nous l'a annoncé avec fierté lors de son audition... à tel point qu'il était loisible de s'interroger pour savoir s'il n'était pas à l'origine de cette addition de mesures. Car il s'agit bien d'une addition de dispositions qui justifient le qualificatif de texte fourre-tout. La loi est aussi, sans contradiction, un texte d'affichage".

Fermez le ban.
Bon courage à vous

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