CULTURE
Actus - Débats
A Londres, des expositions et des artistes
Parmi mes propres amis et ici, sur ce blog, je suis souvent questionné : pourquoi nous parles-tu de peinture, de livres ? Et oubliant qu’ils trouvaient génial le titre de mon blog : « De quoi je me M.E.L », ils rajoutent : pourquoi ne pas cantonner tes réflexions à ton expertise, à la vie des entreprises…
Il y a confusion : l’action, même dans le domaine de l’économie, se nourrit d’intentions, d’émotions et d’analyses accumulées dans la vie. Une vie qui ne se limite pas à une fonction sociale ou à un métier. Un métier, d’ailleurs, qu’on exerce d’autant mieux qu’on a pu aller chercher l’inspiration ailleurs que dans les mêmes moules qui fournissaient ce que Bourdieu, naguère, appelait « la reproduction sociale ».
J’aime passer du temps dans les expositions, les musées, les manifestations culturelles. Pas simplement comme un loisir, un dérivatif. Sorti des bureaux et des magasins, j’y trouve un air vif, revigorant, quelquefois chargé d’émotion, de révolte. J’y trouve une manne nourricière et énergétique. Pour peu qu’on prenne le temps, l’art réveille, impulse, propulse les molécules qui achèvent de nous construire.
Suite aux projets culturels qu’avec quelques amis, nous soutenons depuis Landerneau, je suis allé à Londres pour regarder comment s’organisaient les accrochages et les scénographies d’expositions remarquables. On peut les visiter en ce moment.
- Turner et Claude Lorrain (National Gallery) :
Accrochage très pédagogique, un peu trop classique mais convaincant. Je savais que le Lorrain avait fasciné des amateurs anglais, au début du XIXème, mais pas au point d’être si adulé qu’en bas des tableaux, seul son prénom pouvait faire signature. L’expo montre combien Turner a puisé dans l’art de la composition du Français. D’ailleurs, il a demandé par testament qu’en forme d’hommage, certaines de ses œuvres ne soient présentées qu’en compagnie de celles du Lorrain. Dans le domaine de l’art, cette fidélité, cette reconnaissance sont rares. Reste que le Turner que j’aime, c’est celui, plus tardif, qui fuit l’ordre trop organisé des paysages classiques pour s’enivrer de l’énergie que procure la lumière sur l’eau, les ports et les villes. A voir absolument "Keelmen Heaving in Coals by Night".
- « Picasso and Modern British Art » (Tate Britain) :
Magnifique, passionnant. Encore une histoire de « correspondance », de comparaison et de réaction. Les élèves, ici (si on peut vraiment les appeler ainsi !), ce sont Duncan Grant, Wyndham Lewis, Graham Sutherland, David Hockney, Francis Bacon. A partir des années 60, l’influence de Picasso est totale, puissante en Angleterre comme partout en Europe. Ce qui est intéressant, c’est de voir qu’avant cette découverte consensuelle, des artistes ont reçu comme un choc, depuis 1917, un Picasso pourtant officiellement critiqué. Pas la peine de raconter, il suffit de voir les œuvres côte à côte : deux autoportraits, l’un de Pablo Picasso, l’autre de Francis Bacon ! Ou encore, les trois danseurs de Picasso, dont le personnage central devient l’unique objet de la « Crucifixion » de Bacon (1933). La comparaison est tout aussi révélatrice entre cette « Reclining figure » (femme assise) d’Henry Moore (1936) et le personnage « La source » de Pablo Picasso (1921). (Pourtant, Moore dit qu’il n’avait pas vu le tableau de Picasso !!!)
C’est l’occasion de revoir Francis Bacon, « Three studies for figures at the base of a crucifixion » (1944), Graham Sutherland, « Crucifixion » (1946). Et aussi : « Portrait de Marie-Thérèse Walter » de Picasso. (Dommage, je ne crois pas que j’aie le droit de les reproduire)
- Damien Hirst (Tate Modern) :
J’avais découpé dans Le Figaro (5/04/12) cette interrogation de Valérie Duponchelle : « Est-ce le sacre de l’ex-enfant terrible de l’art contemporain anglais ? Ou un enterrement de première classe pour un vieux rebelle…qui a perdu sa cause ? Est-ce la confirmation d’un talent conceptuel…ou la nostalgie d’une star de l’art aseptisé par son succès en or massif ? »
Souvent les critiques sont trop consensuels. J’avais trouvé qu’en elles-mêmes les interrogations de VD étaient assez vachardes. Mais je suis sorti de l’expo avec un sentiment jubilatoire : celui d’avoir eu conscience de m’être fait avoir par un super manipulateur !
L’expo est conçue comme un immense cabinet de curiosités. Aucune pièce, aucune œuvre ne soulève l’enthousiasme, même pas l’indignation. Et même si l’on imagine qu’Hirst n’a pas osé aller jusqu’au bout de cette mise en scène « vaniteuse » en ajoutant à son bestiaire formolé les deux moitiés jumelles d’un corps d’homme bocalisé, il y aurait peut-être eu scandale, mais peut-être pas.
Je trouve ses armoires à pharmacie, ses vitrines de mégots, de diamants ou d’ailes de papillon plutôt ennuyeuses. Les "Spot Paintings" sont rébarbatives : à Barbican, il y a les mêmes dessinés par les élèves du Bauhaus dans les années 20, sauf qu'à l'époque, on appelait ça du matériel pégagogique pour apprendre à agencer les couleurs. Mais j’ai trouvé assez rigolo d’être moi-même au milieu d’une foule de dizaines de visiteurs, comme ces mouches attirées par le sang qui viendront se griller les ailes sur un néon brûlant. Avant que de servir de matière première pour ce grand soleil noir (des mouches mortes agglomérées), très impressionnant symbole de nos vanités. Je me suis simplement demandé sur quel morceau du disque, Damien Hirst avait imaginé trôner !!!
- Lucian Freud (National Portrait Gallery) :
Il y a quelques années, je n’aimais pas cette abondance de chair, ces corps offerts dans des poses souvent obscènes, parfois exhibitionnistes, dans une atmosphère qui rappelle celle de maisons de retraite mal entretenues. Emmanuelle Lequeux (Le Quotidien de l'Art, 13/02/12) voit dans cette froideur et cette outrance une forme d'inhumanité chez Freud. Et c'est vrai qu'on peut s'interroger sur cette complaisance. Mais j’ai fini par être convaincu que les corps fatigués sur les divans de Freud n’avaient pas moins d’âme que les corps décharnés, étriqués, recroquevillés d’Egon Schiele.
J’ai lu, dans une critique, que l’accrochage des tableaux était trop dense, que les spectateurs n’avaient pas de recul. Mais Lucian Freud peignait dans des pièces étroites, avec ou sans lumière. Il voulait sentir la présence de ses modèles, leurs odeurs et les entendre respirer. C'est vrai que l'atmosphère est parfois suffocante. Harry Bellet (Le Monde, 23/04) dit : « Freud peignait le réel, sans culpabilité aucune, ni compromis ». Oui, mais l'on ne peut s'empêcher de penser que si le modèle se fait complice, le peintre emprisonne aussi le sujet, le plie à son vouloir. Dans la composition lourde et parfois outrancière des dernières oeuvres, il y a un Freud geôlier. Ce n'est pas qu'il interdise toute psychologie (Emmanuelle Lequeux), mais c'est la sienne qu'il révèle. Ses propres obsessions ! Le réel, dans ces conditions, n'est pas celui du sujet, mais bien celui du peintre. Et c'est ça la peinture.
- Hans-Peter Feldmann (Serpentine Gallery) :
J’adore le lieu, superbe écrin en bordure de parc. Je n’avais entendu parler de Hans-Peter Feldmann que par son activité éditoriale. Des livres auxquels je n’ai jamais trouvé d’intérêt. Pas plus que je n’en ai ressenti lors de cette visite. Quand je suis sorti de Serpentine, j’ai écrit à mon ami Gérard Fromanger que « j’avais l’impression qu’on se foutait de notre gueule ». Il m’a répondu : « Turner, Bacon…sont d’extraordinaires artistes. Mais il faut un espace de liberté pour tous ceux qui émergent, les fous, les cinglés, les rebelles. Sans eux, aucune chance de se réjouir un jour d’une nouvelle et forte vision du monde. » Avec abnégation, je vous laisse donc découvrir Feldmann tout seul. (L’accès à Serpentine est « free »).
- Harrods, à 300 mètres de Serpentine :
Permettez cette note d’humour : Harrods, après les Tate, les Saatchi et les White Cube, c’est finalement le lieu d’exposition qui reste le plus fascinant. Des visiteurs comme des performers, au milieu de dizaines d’installations les plus folles, les plus somptueuses. Si l’art est indépendant de la qualité des oeuvres, si l’art contemporain est spectacle (je dis ça pour Hirst), alors je suis persuadé qu’Harrods reste la plus grande galerie de Londres. Croyez-moi, un jour, Pinault rachètera Harrods !
2 Commentaires
Le principe d'ouverture de l'accès à la culture au plus grand nombre est un très beau projet. Faire circuler l'art et ma peinture, est depuis longtemps ma priorité.
Si vous voulez voir mon dernier travail en cours je vous laisse le lien suivant :
http://fr-fr.facebook.com/media/set/?set=a.449093768438464.121006.270050943009415&type=3
Vous pouvez suivre aussi mes créations plus BD dans Fluide Glacial ou ici :
Http://mabic.canalblog.com
Vive l'Art dans le Finistère.
Amitié sincère.
O.MABIC
Le principe d'ouverture de l'accès à la culture au plus grand nombre est un très beau projet. Faire circuler l'art et ma peinture, est depuis longtemps ma priorité.
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Amitié sincère.
O.MABIC