Disons-le très clairement : même si Virgin est l’un des concurrents des Espaces culturels E.Leclerc, je ne me réjouis pas de ce qui lui arrive, pas plus que je ne regarde avec gourmandise les difficultés de la Fnac. Je n’ai jamais été un chaud partisan d’une victoire par défaut, surtout quand elle génère des dégâts sociaux.
1. Pour expliquer les déboires de Virgin, j’ai lu qu’on invoquait le prix des loyers, exorbitants en centre-ville (là où se sont historiquement implantés Virgin et la Fnac). Il ne faut pas le sous-estimer. Je rappelle toutefois que nos magasins de centre-ville ne connaissent pas les mêmes difficultés. Au demeurant, le navire amiral de Virgin bénéficiait sur les Champs d'une attractivité unique en France.
2. J’ai lu aussi la déclaration d’Aurélie Filippetti, la ministre de la Culture, qui accuse internet de « concurrence déloyale ». Oui, c’est vrai, les entreprises transnationales du net (comme Amazon ou Apple) ne font pas face aux mêmes charges ni à la même fiscalité que les GSS françaises. Sujet urgent à traiter par nos hommes politiques... Mais cela n’explique pas tout de la situation actuelle de Virgin (ne serait-ce que par rapport aux autres opérateurs physiques), et internet n’a jamais été un territoire de développement interdit à quiconque.
3. L’échec de Virgin est d’abord le résultat de non-choix et de rendez-vous stratégiques ratés ces dix dernières années.
Pour tous ceux de ma génération, Virgin, c’était la musique ; la musique pas chère, pléthore de CD, des concerts et show-cases, des dizaines de bouquins sur le rock, le jazz… Un style, un ton et tout pour la musique !
Paradoxalement, Virgin a été victime de son succès. Les repreneurs de la marque n’ont pas eu le même souffle que le british libertaire qui la leur cédait. Ils ont exploité la marque à outrance, cultivé la rente, mais ils n’ont pas su renouveler l’offre et l’adapter aux nouvelles demandes générationnelles.
Qu’on le mesure par deux chiffres :
- Ventes de musique au plan national : le CD représentait 95% du marché en 2002 contre 49% en 2012
- 50% des achats sur le net concernent des produits culturels (baromètre Médiamétrie//NetRatings 2012 pour la FEVAD).
Se revendiquant spécialiste de la musique (ne donnant pas dans sa communication à connaître les autres départements de ses ventes) Virgin a bien ouvert un site internet de téléchargement. On cherchera en vain les synergies avec ses magasins, et les investissements publicitaires étaient si ténus que ce site semble n’avoir jamais été une priorité stratégique.
Format, canal, localisation... et politique d’enseigne
Une marque n’est jamais éternelle. La grande distribution en est d’ailleurs un exemple concret : de profundis clamavi feu Mammouth, Euromarché, Continent…
Au-delà des canaux de distribution et des stratégies de mix-produit, ce que nous rappelle la triste situation de Virgin, c’est qu’une marque doit perpétuellement justifier de son attractivité, donc de son utilité et de sa différence. Et ce, quels que soient les supports technologiques, les formats et les canaux de distribution du marché sur lequel elle opère.
Or, que disait Virgin sur la musique ou sur la culture depuis quelques années ? On est bien en peine de s’en souvenir. Ses revendications et ses combats ont peu à peu laissé la place à une stratégie gestionnaire. Comme l'écrit Alain Beuve-Méry dans Le Monde de ce jour : "de pionnière, elle [la marque, NDR] est devenue traditionnelle, puis dépassée".
Après le départ du flamboyant Branson, les nouveaux boss de Virgin n’ont pas su (voulu ?) ré-enchanter le mythe. Ici comme ailleurs, la divergence entre le management (gestionnaire de la relation avec le client) et les actionnaires (pure players financiers) empêche de faire émerger une stratégie de long terme susceptible de s’adapter à la concurrence.
Et les Espaces culturels E. Leclerc dans tout ça ?
E.Leclerc continue sa croissance sur les produits culturels, en chiffre d'affaires et en part de marché, en 2012. Mais pas question de fanfaronner. Il y a dans les expériences de Surcouf, de Virgin, les difficultés de la Fnac ou des grandes librairies spécialisées, des leçons à tirer. L’accélération de la concurrence par le développement des stratégies multicanal va obliger tous les opérateurs et sur tous les marchés (pas que le culturel !) à se redéployer et à réinventer leur modèle économique.
Les espaces culturels E.Leclerc sont devenus le 1er réseau (avec 215 magasins) de distribution de produits culturels en France. J’inaugurerai cette année une dizaine de nouveaux Espaces. Mais d’ici 2015 (et même dès le printemps 2013), nous devons ouvrir et peaufiner notre offre internet parallèlement à la rénovation de tous les rayons culturels et multimédia en hyper.
Comme tout le monde, nous constatons les baisses de ventes pour les CD ou les DVD, mais nous parvenons à faire progresser les ventes de livres et pour chaque canal, nous continuerons à travailler la mixité et la croissance de nos offres pour suivre les modes de consommation.
Mais attention...
Tout ce travail de construction d’offre, de marketing d’innovation et de gestion, ne marchera que si nous savons entretenir la flamme et la qualité de notre promesse d’enseigne.
Pourquoi un consommateur continuera-t-il de fréquenter notre enseigne culturelle (dans les magasins ou sur le net) ? C’est d’abord parce que l’offre et le service nourrissent notre fonction sociale : l’accessibilité pour tous les foyers à la culture sous toutes ses formes, quelle que soit l’évolution des supports… et quels que soient les lieux d’achat. Ainsi, lorsque nous déveleloppons le drive, nous garantissons les prix bas de l'hyper. Et dans le domaine culturel, quel que soit le canal de distribution, nous garantirons le rabais de 5% sur les livres autorisé par la loi Lang !
Parce que pour nous, justement, il n’y a pas que les grandes villes à pouvoir d’achat, il n’y a pas que les innovations technologiques...il y a la nécessité de défendre le primat des contenus (la culture), donc de veiller à la convergence des contenants et des contenus, plutôt que de trop segmenter les offres.
* La commercialisation en GSS ou sur internet des seuls produits techniques sert un marché d'opportunités trop dépendant des technologies et du rythme des innovations maîtrisé par les seuls fournisseurs : pas beaucoup de place pour une politique d'enseigne différenciée d'autant que sur ces marchés émergents, personne ne peut garantir une performance prix durable.
* A contrario la commercialisation des contenus culturels sans leur support prive l'enseigne de la dynamique de ces nouveaux marchés.
Il ne s’agit pas de jouer la technologie contre la culture ni même de spécialiser l’un par rapport à l’autre. Mais plutôt de mettre l’un (la technologie) au service de l’autre (l’accès à la culture). C'est notre stratégie d'enseigne !
10 Commentaires
Virgin, c'est tout simple. Au départ un entrepreneur d'exception Branson, puis Lagardère naïf qui paie le max et refile la patate chaude à perte au charognard Butler capital qui en fait est l'arroseur arrosé.
Virgin, en pleine tempête, dirigé par des cadres pantouflards et des financiers non entrepreneurs était un mort vivant. Et pourtant il y avait de quoi faire!!!
Quant aux syndicats, on ne les a jamais autant entendus que depuis que la bête est morte , ils ont du bien roupillé pendant tout ce temps
Voilà une opportunité d'ouvrir un LECLERC sur les Champs Elysées!
Un rêve qui peut fonctionner à merveille. Quand on sait à Paris que les Franprix rachètent les pas de porte des banques, on se dit que la vente de produits alimentaires est une nécessité. Sur une avenue comme celle-ci la vente par internet est un plus certain mais le passage parait déjà suffisant pour faire tourner la boutique
Alors Chiche?
A lire, le mutisme des artistes face à une crise qui les concerne!!!!
nous nous sommes croisés il y a quelques années à Séville où j'intervenais sur le thème de l'innovation devant vos adhérents.
Entièrement d'accord avec votre analyse des erreurs de Virgin (mon cabinet conseil, Tilt ideas, leur avait fait passer le message en temps utile...)
Par contre à votre question : ''Et les Espaces culturels E. Leclerc dans tout ça ?'', pourquoi ne rêvez vous pas d'apposer votre enseigne (ou a minima Les espaces culturels) à leur place ? Vous allez me dire : de quoi se mel t'il ?!
Ce serait pourtant une jolie façon de faire entrer l'enseigne en centre-ville. Pas sous forme de navire amiral (c'est un combat d'un autre temps, qui ne ressemble pas en plus au mouvement), mais pour émettre 2 signaux symboliques forts, cohérents avec vos gènes : 1/ en reprenant Virgin, ses employés, Leclerc pourrait revenir aux sources du succès de Virgin (vous l'expliquez clairement dans votre billet)en les connectant avec votre ADN (combat contre la vie chère); 2/ en reprenant Virgin, vous faites la nique aux autres distributeurs qui rêvent de ''prendre Paris'', cohérent en cela avec l'image de trublion du mouvement...
A vous lire
Très cordialement