CULTURE
Actus - Débats
Art Spiegelman, Robert Crumb, Claudine Drai, Helmut Newton
Helmut Newton à la Galerie Nationale du Grand Palais :
Il y a des chefs-d’œuvre, mais aussi, à mon goût, quelques facilités. On trouvera, dans cette exposition, la plupart des tirages qui ont fait la renommée d’Helmut Newton. Je ne suis pas très sensible à ces photos souvent trop léchées, notamment les mises en scène sado-maso que je trouve très kitsch et toc. Les portraits de Le Pen avec ses Dobermann ou des frères Wildenstein sont extraordinairement expressifs. Mais on sent exagérément la composition, les directives du photographe et son objectif, au sens propre comme au figuré. On l’eût aimé plus voyeur, plus intimiste. Certains décors de studios, rues ou piscines font leur effet. Mais le Helmut Newton que j’aime reste celui qui réalise des portraits, ceux d’acteurs comme Catherine Deneuve, d’écrivains…peu importe d’ailleurs leur notoriété. Ici, les images sont plus subtiles, parfois délicates…ce qui n’est pas, il est vrai, la marque principale d’Helmut Newton.
Ai Weiwei et Bérénice Abbott au Jeu de Paume :
Beaucoup d’expositions de photos depuis deux ou trois ans à Paris. Ces deux manifestations-là viennent de s’achever. Autant j’aimerais revoir d’autres travaux de Bérénice Abbott, notamment ses reportages et ses photos montages new-yorkais des années 30, autant le travail d’Ai Weiwei m’a profondément déçu.
Certes, j’imagine qu’il n’est pas facile d’être un artiste libre, indépendant et provocateur dans la Chine d’aujourd’hui. Pour autant, je trouve que ses mises en scène n’ont rien d’innovant. Et que ses blagues frisent celles d’un potache : jeune fille soulevant sa jupe pour montrer sa petite culotte sur la Place Rouge (1994), vision du monde à partir d’un doigt levé ou même encore autoportrait pendant la destruction d’une urne archéologique…bof !
La posture est trop systématique, sans finesse, ni même vraiment dérangeante. Et les séries à caractère plus « sociologique » telles « Provisional Landscapes » (2002-2008), « Bird’s Nest » (2005-2008) ou « Earthquake » (2008-2010) m’ont semblé d’une désolante banalité.
Désolé, monsieur l’artiste !
Art Spiegelman à la bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou :
On doit à Rina Mattotti, excellente galeriste rue Martel, cette rétrospective qui fut l’une des meilleures attractions d’Angoulême. Elle est reprise, plus discrètement, à Beaubourg. Encore quelques jours pour visiter ! Et pour moi, revisiter mon jugement sur le parcours artistique d’Art Spiegelman (ma note du 14/04/2008).
Tellement fasciné par Maus (création majeure du 9ème Art), j’avais retenu d’Art Spiegelman qu’il était essentiellement l’homme d’une œuvre. Mea culpa et reconnaissance ! Il suffit de voir ces 200 croquis et dessins, ces « Une » de la revue Raw, et les nombreuses illustrations pour des revues comme The New Yorker… pour comprendre le génie de cet auteur paradoxal : une force, une densité, une concentration dans le trait et la composition pour exprimer tant de sensibilité, de fêlures, d’ambiguïté psychologique. J’ai relu A l’Ombre des Tours Mortes quelques jours après la visite de cette expo et j’ai compris l’inanité de vouloir rechercher toujours, auprès d’un artiste, une éventuelle innovation graphique pour dire finalement la constance des hommes dans leurs faiblesses et leurs mensonges quand ils prétendent se retrancher derrière les vertus prétendument civilisatrices.
Robert Crumb au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris :
Question d’obsession, celui-là en connaît un bout. A côté, les aventures de DSK au gynécée, c’est de l’image d’Epinal. Sexe, politique et musique, Crumb joue avec les ingrédients de la contre-culture, version « X » mais fun. On comprend tout de suite ce que la fonction artistique a d’exutoire.
A l’instar d’un Woody Allen au cinéma, Spiegelman et Crumb sont les héritiers des patients viennois de Freud. Crumb manie la gauloiserie comme Coluche se plantait des plumes dans le cul. Rire de soi, n’est-ce pas la meilleure thérapie pour surmonter impuissance et solitude.
S’il est un point commun à ces deux expositions, c’est la pratique de l’autodérision. Le désarroi de Spiegelman devant les violences de l’humanité et l’impuissance d’un Crumb, « nabot à lunettes, voyeur et craintif » (Philippe Dagen, Le Monde), entre grosse brute et imposante matrone. On le savait, mais c’est maintenant confirmé avec ces deux expos : Wolinski, Reiser et Vuillemin avaient eu de bons maîtres.
Claudine Drai à la galerie Jérôme de Noirmont :
Rien à voir avec nos deux intellectuels new-yorkais. Si ce n’est son apparente fragilité. A l’image de ses créatures de papier, la fée Claudine survole, bat des ailes et vous bourdonne son histoire, celle d’une petite fille lovée dans le camion d’un marchand de quatre saisons (son père), obsédée par sa survie et le dialogue des corps et des âmes.
Elle parle vite, n’engrange un moment de respiration qu’en vous questionnant : « vous sentez ça aussi ? », et vous voilà hypnotisé, magnétisé, sur le palier d’un autre monde. Commentant son œuvre murale, elle caresse les anges de Fra Angelico, plisse les drapés de la meilleure peinture hollandaise, s’invite dans l’intemporalité des calligraphes japonais. Son monde est blanc, parfois visité par quelques sombres chimères, et dans ses créations récentes, ses tableaux sont veinés d’un bleu céleste.
Olivier Kaeppelin (Fondation Maeght) a signé une préface très intelligente pour son catalogue chez Noirmont. Mais c’est avec la naïveté et la fraîcheur d’une toute jeune fille qu’après un tel parcours aérien, et en forme d’aveu existentiel, elle vous ramène paradoxalement sur terre, au milieu d’une statuaire étonnante : des bronzes magnifiques coulés directement sur le papier, des âmes pétrifiées, saisies dans leur « Métamorphose », leur « Silence », leur « Chute », leur « Déchirure ». Sans doute parce qu’à défaut d’espoir, il fallait bien, malgré tout, que la vie se matérialise dans ce monde… Une question de survie dit-elle. Magnifique !
0 Commentaires