
Tour Paris 13 : l’art de rue s’invite à domicile !
L’immeuble m’intriguait depuis plusieurs mois. Cette grosse goutte, orange fluo, dégoulinant du toit, voilà qui m’interpellait chaque matin quand je me rendais au bureau. Depuis quelques semaines, la presse a bien voulu nous en dire plus en dévoilant le projet, dont le nom de code est « #tourparis13 ».
Je me suis arrêté à plusieurs reprises sur ce lieu insolite. Muni de mon appareil photo, j’ai aimé capter ces brefs moments, tôt le matin, où l’on découvre qu’un graff est apparu sur le mobilier urbain ou que les agents d’entretien ont eu raison d’une pancarte qui portait, la veille encore, quelque revendication à la gloire de la création !
Avant-hier, j’ai pu enfin pénétrer dans ce lieu magique, véritable temple dédié au street art. J’ai même pu rencontrer l’initiateur des lieux, le galeriste Mehdi Ben Cheikh (http://www.itinerrance.fr), un passionné partageur, d’une disponibilité à toute épreuve pour le public qui vient (gratuitement) visiter ce lieu original. Il faut l’entendre raconter son aventure, et décrire avec gourmandise la prochaine étape (je n’en dis pas plus, vous verrez !).
Il aura fallu 7 mois pour que le lieu reprenne vie…temporairement ! Car le public n’aura que 30 jours pour le visiter. Résultat : dur dur d’y accéder. Pour des raisons de sécurité, l’immeuble ne peut accueillir simultanément que 49 personnes …soit environ 1.000 personnes par jour.
Autant dire que tous ceux qui font la queue ne sont pas assurés d’y entrer, il y a une part de chance. J’ai demandé à Mehdi s’il n’envisageait pas, devant un tel succès, de prolonger l’opération. Mais ce garçon d’une gentillesse rayonnante sait aussi être ferme quand il le faut : « pas question ». En vérité, il pense déjà à la suite !
On pourra se rattraper en achetant le livre qui sera édité après l’événement, ou en visitant l’époustouflant site internet collaboratif (www.tourparis13.fr) qui permet une véritable visite virtuelle du lieu. Je crois même qu’un film est en préparation.
Je lisais hier qu’Eddy Mitchell trouvait que Paris ressemblait à Angoulême (dans les propos du chanteur, je ne crois pas qu’il s’agissait d’un compliment). Et bien ce type d’initiative vient faire mentir la chaussette noire !
Gaz Art à tous les étages !
A la Tour Paris 13, on ne vient pas voir les œuvres. On les visite. On se promène dans une trentaine d’appartements, entièrement livrés à une centaine de graffeurs venus du monde entier. Le public, qui déambule librement dans les 9 étages, perd facilement ses repères en pénétrant dans chaque pièce, exactement comme le voulait Mehdi. Seuls deux ou trois appartements ont porte close. Et pour cause, ils sont encore habités… « merci de ne pas sonner » indique sobrement une affichette !
L’impression immédiate et générale, c’est un complet lâchage de bride qui a permis à ce souffle de liberté de s'engouffrer de la toiture aux caves de l'immeuble.
Les couleurs, les objets (laissés par les locataires !), le joyeux bordel qui règne dans les appartements…bref l’ambiance festive et surtout créative de cette délirante caverne artistique nous transporte vite ailleurs, dans les lieux informels du vieux ghetto juif de Budapest ou dans le quartier de Kreuzberg à Berlin.
Du très esthétique et très coloré Julien Colombier, au terrifiant Shoof dont l’art semble fortement inspiré par ses études de sciences politiques et l’actualité géopolitique, en passant par Kartre et son ambiance post-bombardement ou les italiens Orticanoodles qui font résonner leur culture pop avec une atmosphère de fin de RDA…on en prend plein les mirettes! Cerise sur le gâteau, la façade vient de s'orner d'une gigantesque bâche de Keith Haring ("City kids speaks on Liberty").
L’Humanité avait qualifié l’endroit de « Babel du street art ». L’expression visait juste, au-delà du nombre de nationalités (16) impliquées dans l’opération. Plus que les origines, ce sont les inspirations qui déboussolent, qui interpellent et qui prouvent finalement que « le street art » n’a pas une définition unique.
Alors chapeau aux artistes du monde entier qui se sont occupés de ce lieu (au-dedans comme au-dehors !).
Bravo au galeriste Mehdi Ben Cheikh pour avoir su fédérer autant de talents, pour notre plus grand plaisir.
Enfin félicitations aux « partenaires institutionnels » (le maire du 13e et le bailleur social) qui ont eu le courage de sortir un peu des sentiers balisés pour prendre quelques risques. Il y avait tellement de raisons de dire « ce n’est pas possible »… l’énorme affluence, y compris européenne, vient récompenser les audacieux !


- Shoof


Tour Paris 13, 5 rue Fulton – 75013 Paris. M° Quai de la Gare. Ouverture au public du 1er au 31 octobre 2013, du mardi au dimanche de 12h à 20h (dernière visite à 19h15). Fermeture le lundi.
5 Commentaires
J'aime bien l'idée de l'art éphémère qui donne une autre dimension à un lieu puis qui disparaît en laissant l'artiste devant une nouvelle page blanche, une nouvelle vie sans explications à donner sur ce qu'il a fait avant. Il y a des réalisations surprenantes, intrigantes, fascinantes. Je rêve de voir la façade du centre Georges Pompidou habillée de la sorte côté rue du Renard.
Il nous semble que vous nous décrivez là, images à l' appui, comme une liberté en cage, une mise en scène de la liberté en sursis. Vous parlez d' un " temple dédié ", mais alors que partage t-on dans cette "religion" pour laquelle on est amené à la visite en série limité? On a mis la liberté d' expression en cage pour visites organisées?
Un street art internationaliste, marketing involontaire(?) d' une liberté à contempler avec nostalgie. Dépêchez-vous, cela ne dure que quelques semaines et il n' y en aura pas pour tout le monde!
Mais est-ce cela qui vous plait tant, Michel Edouard, cette inconsciente mais persistante injonction d' y aller voir la bonne occase temporaire comme l' on peut aller à la foire aux vins dans vos magasins?
Oui, la liberté de l' art ( mais pas que que cette liberté là ) au sens propre et au sens figuré à l' air d' en avoir vraiment que pour quelques jours et vous avez l' air de nous dire : " profitez-en " avant le déluge!
J' exagère le trait, je le concède.
Mais l' art de rue se fait dans la rue -d' ailleurs les artistes le disent eux-mêmes dans la vidéo du galeriste mise en ligne dans le billet - et pas dans un espace clos. Il est regard libre offert à d' autres regards libres de le voir ou non.
Avant d' être " sanctifié" dans son temple, l' art doit passer par le propylée comme l' explique si bien un historien d' art E. Wind dans son livre Art et Anarchie Gallimard 1988. L' art des rues est un art qui donne le vrai pouvoir à tout un chacun de mettre en cause ou d' admirer par des arguments ( simples ou complexes, simplistes ou sophistiqués, peu importe ) ce qu' il consent à regarder.
http://staive-vestale.blogspot.fr/2013/10/du-propylee-au-sanctuaire-de-lart.html
Nous somme là, loin d' un art imposé, proposé sans discussion préalable. C' est, cher Michel E. poser la question essentielle de savoir ce que l' on est prêt à accepter ce qui est de l' art ou ne l' est pas.
Cela me fait souvenir de notre discussion, adolescents en pension, de savoir si la bande dessinée était de l' art et je me souviens bien que déjà à l' époque vous disiez que oui et vous aviez raison, l' histoire de la bande dessinée en quelque sorte vous a donné raison.
Avec mon très cordial salut.
http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/11/03/street-artist-francais-space-invader-arrete-a-new-york-mercredi-247171
Malgré une notoriété internationale, le street artiste court encore des risques dans la rue, enjeu des pouvoirs visuels, geéostratégiques et économiques.
Depuis la confrontation des iconoclastes et des iconodoules du VIII ème siècle, le combat pour l' hégémonie du pouvoir de l' image persiste encore!
Bien cordialement à vous.