
Duel « LECLERC-FOURNIER » : le regard du réalisateur
Il y a quelques semaines, je livrais mon impression sur ce blog du documentaire "Duel" diffusé par France 5. Je découvre aujourd'hui, en fouillant par hasard dans les spams de ce blog, le commentaire déposé il y a plusieurs jours par Philippe Allante, le réalisateur du documentaire Leclerc contre Fournier. Je le remercie pour son message. J'ai apprécié la présentation de son choix éditorial comme sa démarche de pédagogie. Du coup je vous livre son texte via une note de blog.
Michel Edouard Leclerc
votre entrée dans la mêlée, sur la toile, est une nouvelle fois celle d’un arrière inspiré qui plutôt que de botter simplement en touche relance magnifiquement le propos.
En tant que réalisateur, je suis à la fois agréablement surpris par la justesse de votre regard de spectateur certes forcément « un peu particulier ».
Je concède bien évidemment que la notion de « DUEL » est un principe qui a ses limites, et que le « mano à mano » entre Edouard LECLERC et Marcel FOURNIER, même s’il se pose sur un fait bien concret, d’un soir de décembre 1959 à Annecy, est ensuite cerné en forçant un peu le trait.
Mais tout au long du montage, j’ai orienté le récit pour qu’il ne tombe jamais dans la caricature. Il fallait être simple sans être simpliste. Réaliser un tel documentaire, c’est être aussi un peu funambule et beaucoup artisan. Alors, quand, j’ai vu la masse de faits et d’histoires à synthétiser entre les deux duellistes, il y avait de quoi avoir le vertige.
Mais c’est vrai qu’au tout départ, j’ai eu le souhait de réaliser en concertation avec Yves Soulabail, un film qui raconte de manière un peu plus large, l’étonnante histoire de la révolution des modes de consommations des français et surtout des françaises, il y a un peu plus de deux ans. Il s’agissait d’être au rendez-vous de la date clé de l’anniversaire de Juin 1963 et l’ouverture du premier hypermarché à St Geneviève des bois.
En effet, j’ai toujours considéré que l’histoire en télé devait être vivante et connecter les spectateurs à l’évolution de leur quotidien. C’est pour cela que j’ai réalisé plusieurs séries documentaires à propos de l’Histoire de la Cuisine ou de la Mode, en revisitant la grande histoire à travers le prisme de cette vie de tous les jours.
Ce scénario a intéressé France Télévision, mais n’a pas abouti, car la grande histoire économique est difficile à placer dans une case, même après 22h30.
Donc quand France 5 a lancé la série DUELS, j’ai immédiatement pensé que l’opposition de visions entre EDOUARD LECLERC et MARCEL FOURNIER, à propos des débuts de la grande distribution, comportait tous les ressorts pour enfin raconter cette période fascinante de la mutation du visage économique et commercial de la France.
Certes cela imposait une grammaire de narration un peu systématique dans la manière de mettre en exergue l’opposition, qui pour le coup c’est faite grandement à distance.
Les ficelles du DUEL, ont néanmoins un effet positif, c’est d’organiser un récit tendu, tonique et à priori palpitant, qui se démarque du ton des documentaires classiques.
Et « ce produit » s’il vous a semblé réussi a captivé l’attention de plus de 360 000 personnes lors de sa diffusion, et le décompte des nombreux visionnages sur internet via PLUZZ ne sont pas encore achevés.
Si ce n’est que des chiffres, cela permettra de savoir si finalement l’histoire de ces deux visionnaires ouvre la voie à d’autres histoires autour du commerce à la télévision française, un domaine qui mériterait d’être mis beaucoup plus en lumière.
Car c’est le commerce qui a obligé l’humanité à se lancer dans l’écrit avec les premières écritures Cunéiformes, il y a plus de 3000 ans. Et aujourd’hui, il mène le monde, tout autant que des assemblées qui gesticulent dans des hémicycles.
Et pourtant, les rendez-vous sont rares, quand il s’agit de raconter des histoires économiques et décryptant des rouages.
Il faut néanmoins souligner que l’équipe de la programmation de DUELS avec à sa tête Isabelle Morand, a déjà proposé de belles histoires en la matière, comme le face à face entre PINAULT et ARNAULT ou Steve JOBS et Bill GATES, racontant indirectement là aussi des mutations inouïes dans le luxe ou l’informatique.
Fin de la parenthèse.
Donc tout cela pour dire, que je vous concède l’impression d’un certain « stéréotype », j’en suis tout à fait conscient. Et il va de soit aussi, que certains points auraient mérités d’êtres plus détaillés, le raccourci en histoire est toujours un exercice de style très délicat. Mais, on sait très bien que le média télévisuel ne tolère pas la parenthèse, comme je viens de le faire.
Effectivement, la concurrence entre Carrefour, Leclerc et les autres enseignes a été aussi une véritable géostratégie avec d’autres grandes familles et succursalistes.
Et bien sûr, que Jean Haas, les familles Halley, Cam, Decré, Guichard-Perrachon, Meyer-Houzé, Jung sans oublier Mulliez, ont tous été de grands artisans, du tout sous un même toit et d’un discount des prix en réduisant les intermédiaires, dans la foulée d’Edouard Leclerc et de Marcel Fournier. Et cela serait aussi la trame d’une histoire passionnante ou même d’une série et vos éclaircissements, Michel Edouard, à ce sujets sont déjà très précieux.
Mais ce que je souhaitais par dessus tout, c’était au-delà des faits, démontrer la fabuleuse intelligence d’adaptation, le flair économique et politique, de deux hommes aux profils radicalement opposés, qui ont su devenir des précurseurs. En définitive, je trouve que les paroles d’Olivier Dauvers, collent finalement bien à Edouard comme à Marcel : « il fallait être sacrément gonflé… ». Ils l’étaient tous les deux, totalement, avec leurs caractères, leurs vices et beaucoup de vertus dont certaines restent exemplaires.
Résultat, ce DUEL à non seulement influencé la construction d’un modèle économique « à la française » qui s’est exporté à travers le monde, mais il a eu le mérite un demi-siècle plus tard d’ouvrir un intérêt pour une histoire qui a modelé nos existences.
Un intérêt qui peut se perpétuer, en continuant à échanger des témoignages entre historiens et spécialistes, comme s’apprête à le faire Jean-Marc Villermet, en Savoie.
Autre point mis à jour par ce film, c’est le poids des images, dont certaines étaient diffusées pour la première fois à la télévision. Et je sais qu’avec Anaïs Legendre, vous accordez un intérêt particulier pour préserver, documenter, ce qui est aujourd’hui un patrimoine précieux qui doit être relayé aux générations futures.
Un souci, qui devrait être partagé par d’autres acteurs majeurs de la grande distribution…
Car si l’écriture de cette histoire, fut quelque fois un véritable casse-tête pour trouver le bon tempo entre oppositions de deux visions tout en posant à chaque fois le contexte économique, il fut aussi un pari très complexe pour trouver des images à la hauteur du récit.
Alors, la réussite de ce film repose aussi sur des passions individuelles, comme celle d’Yves Soulabail à collecter des trésors comme celui légué par Etienne Thyl, ou celle d’Hélène Zinck. Comme archiviste, elle a véritablement mené des enquêtes dans les fonds d’archives en Bretagne, en Savoie ou aux Etats-Unis, pour retrouver des images qui ont magnifiquement collé au récit.
En définitive, l’histoire de la grande distribution est passionnante sous bien des formes et des aspects, parce qu’elle révèle des personnages passionnés et passionnants, et votre intérêt pour cette page d’histoire le révèle aussi, comme l’ont été les témoignages dans ce film d’Hervé Paturle, Jean Méo, Claude Sordet, Paul Dubrule ou Jacques Seguela.
Mais mon ultime regret, face à mon combat contre le chronomètre des 52 minutes, c’est de n’avoir pas pu accorder encore plus de place au témoignage d’Hélène Leclerc. Car cet entretien fut riche avec celle qui fut véritablement la « co-fondatrice » de l’expérience Leclerc. J’ai sincèrement admiré son courage pour raconter avec précision, simplicité et néanmoins émotion, les tournants du début de ce qui fut une véritable aventure et qui mériterait là aussi un documentaire à part entière.
Quand, j’avais parlé avec elle du projet d’interview, je lui avais dit : « s’il y a une femme qui doit intervenir, dans cette histoire un peu trop masculine à mon goût, c’est vous ! ». Et je pense, que sa présence, donne un éclat tout particulier à ce film.
Voilà, je lâche la mêlée, pour reprendre la préparation d’une série documentaire, cette fois pour ARTE, à la découverte des nouveaux eldorados du goût en Amérique, mais cet Hyper Duel aura été pour moi, aussi une histoire de très belles rencontres, ici comme tout au long des 8 mois de la réalisation de ce film.
Philippe Allante
5 Commentaires
Merci pour cette transparence et ce partage.
Raoul
Pour le consommateur, c'est important de connaitre les distributeurs, ici en France, le caractère familial de l'entreprise va de pair avec les obligations que tous nous avons vis à vis de nos parents enfants frères et sœurs ... et qu'enfin toutes ces énergies , vie et expériences vont dans l'intérêts sociétal de tous et l'avenir de chacun !cette question de que deviennent les générations précédentes dans les temps, où bien culturellement comment lier éternité, ordre et discipline et continuité correcte existentielle pour tous, évidement avec les cycles de consommation !
Cette dimension éternelle est importante dans nos société du XXI siècle et que chaque génération doit et à sa place dans le partage équilibré et moral pour non pas s'affranchir facilement des difficultés de ce monde mais bien dans la laïcité valoir une réussite certaine mais au prix d'une morale, d'un engagement et respect mutuel, et aussi d'une communication sans en être remis en cause ! Les institutions sont aussi partie prenante il faut leur faire confiance avec mesure, même dans la difficulté pour surmonter souvent des caps difficiles ! maintenant cette génération et celle de MEL et son entourage ont aussi cette responsabilité sociétale avec sérieux et professionnalisme reconnus ! La France apprécie l'Hermione avec un panache modéré, c'est plus qu'une obligation, surtout si nous voulons tous trouver l'espace et la paix de l'avenir en pleine sérénité, à l'heure du "Falcon" de la "lgv" et d'"airbus" industrie ! la dimension de communication est a expertiser, l'image ici des deux patrons de la distribution reste un peu "album photo cinéma" l'un Bogart et l'autre d'un pub fumant des état unis ! où sont les nouveaux continents ... !
Bref, mention assez bien, mais..peut mieux faire!