ÉCONOMIE Actus / Débats

L’administration veut-elle le retour de la Loi Galland et des marges arrière ?

C’est reparti pour les querelles d’interprétation qui décidément opposeront toujours les distributeurs et l’administration. Comme si cette dernière ne pouvait exister qu’en entretenant les polémiques juridiques, pour mieux imposer sa doctrine, ses arbitrages.

On se souvient du combat qui nous opposa à l’administration et plus généralement à Bercy contre la loi Galland. On se souvient que par la LME, les distributeurs retrouvèrent la liberté de négociation et la possibilité de répercuter l’entièreté des conditions d’achat aux consommateurs.

A peine l’encre de la nouvelle loi fut elle sèche, que le lobby industriel réclama que par décret, on redéfinisse (sous-entendu qu’on restreigne !) les conditions de la négociation. Le politique ne céda pas, qui décida que la LME devait être une loi de liberté et, qu’à l’instar de ce qui se pratiquait dans les autres pays européens, point n’était nécessaire de limiter la créativité des partenaires économiques pour l’exercer. Pas besoin de décret, donc.

C’était compter sans Bercy et la DGCCRF qui, se firent soumettre des milliers de contrats à leur appréciation, et décidèrent de se substituer aux industriels pour obtenir des tribunaux une définition non académique du prix de revente. Derrière cette stratégie, ce que veulent les énarques de Bercy, c’est garder leur capacité de contrôle et pouvoir remettre en cause le prix négocié par les industriels et les distributeurs.

Pour se donner cette légitimité, ils ont d’abord demandé aux juges de faire agréer le concept de déséquilibre économique, et  comme ce sera pratiquement toujours le cas, Bercy devient en France la 3e partie au contrat.

Toutes les enseignes ont depuis fait l’objet d’assignations médiatisées à grands frais. Toutes ces revisitations de contrats signés par les distributeurs sont désormais soumises à des jurisprudences contraires qui ne confèrent évidemment pas à la LME une très grande visibilité.

Aux déboires d’autres enseignes, la Cour d’Appel de Paris vient de rajouter un arrêt qui remet encore en cause la pratique des négociations commerciales, telle qu’elle découle de la loi de modernisation économique.

Bien évidemment, le groupement d’achat des centres E. Leclerc va encore une fois saisir la Cour de cassation.

De quoi parle-t-on ? Bercy a décidé en 2010 de saisir la justice à propos des ristournes de fin d'année négociées par le Galec avec les fournisseurs. A ma connaissance, c’est une initiative autonome de l’administration et aucun industriel ne s’était préalablement manifesté, ou n’avait contesté la qualité du contrat qu’il avait signé.

Dans un premier temps, les juges du Tribunal de commerce de Paris avaient rejeté la demande de Bercy.

Et tandis que d’autres Cours d’appel suivaient une interprétation « de même facture », la Cour d’Appel de Paris vient de censurer le jugement du TC. Et ce n’est pas près d’être fini !

Cet arrêt aboutit à une remise en cause du principe de libre négociation du prix, et veut imposer aux distributeurs de revenir à des services de coopération commerciale, et donc aux marges-arrière. Ça ne vous rappelle rien ?

Combien de tentatives d’amendements ai-je vu passer ces dernières années pour essayer de nous imposer le recours aux fameux « plans d’affaires » ou aux contreparties ?

Les parlementaires s’étaient jusqu’à présent gardés d’y toucher, comprenant bien les conséquences probables pour le pouvoir d’achat des Français. Les membres de la CEPC (Commission d’Examen des Pratiques Commerciales) n’ont jamais, depuis l’origine de cet organe, pu produire une appréciation consensuelle.

Les juges iront-ils plus loin que le législateur ? Réponse dans quelques mois.

E.Leclerc a toujours milité contre ce système de coopération commerciale très opaque. E.Leclerc préfère privilégier une négociation industrie-commerce qui favorise in fine le prix de vente au consommateur.

Alors qu’il peut procéder par appel d’offre partout en Europe, imagine-t-on un grossiste, concessionnaire, un revendeur se voir exiger par son fournisseur un service supplémentaire pour bénéficier du meilleur prix ?

Ou encore le cas suivant : si Danone est trop cher par rapport à Yoplait, plutôt que de demander simplement au  premier de s’aligner sur le second, faut-il, pour l’obtenir, convenir que Michel-Edouard Leclerc ira faire le zozo deux fois par jour devant la gondole de Danone pour attirer le chaland et obtenir de Danone la baisse de prix qui le rendrait compétitif ? Ça  c’est sûr, 10 ans de Loi Galland nous avaient rendus créatifs !

On est en France mes amis…ne vous étonnez pas que les Chinois, ou même, plus proches, les Allemands, pénètrent facilement les marchés.

D’autres questions surgissent. L’industrie est-elle aussi dans la ligne de mire ou cela ne concerne-t-il que la grande distribution alimentaire ? A trop vouloir cibler la distribution, l’administration ne remet-elle pas en cause aussi les méthodes d’achat de nos industriels ou le secteur des services ? Car d’où tirerait-on que le droit est segmentable ?

Oui, les centres E.Leclerc vont se pourvoir en cassation, d’autant que cette décision vient remettre en cause une jurisprudence qui, comme je le disais, commençait à être établie.

Nous sortons à peine des difficultés d’application de la Loi Hamon sur la consommation. Voilà une nouvelle grosse perturbation qui va peser sur les négociations commerciales de 2016 et 2017 !

C’est une véritable épée de Damoclès pour les équipes de négo de toutes les enseignes. Merci Bercy !

11 Commentaires

"C'était compter sans Bercy" et non "C'était sans compter sur Bercy".
Bonsoir Michel,

Les acteurs du retail et plus particulièrement votre groupement d'indépendants n'est pas reconnu pour être des tendres dans la négociation commerciale.

Je suis absolument d'accord avec vous, il ne faut pas plaindre ces grands groupes de consommation comme Procter/Unilever, vous avez vu le dernier article LSA sur les marges ? Nestlé plus de 20 % et après, le DG France ose larmoyer dans le figaro ? De qui se moque t'on?

Toutefois, nous savons tous qu'aujourd'hui, vous ne gagnez plus votre vie sur les modestes marges réalisées sur vos produits mais bien sur toutes ces " coopérations commerciales " très ingénieuses.
N'encouragez-vous pas à vos directeurs de magasin des refus de livraison sous x prétextes pour imposer des pénalités à vos bons fournisseurs?

Ne nous mentons pas à nous même MEL, le ministère de l'économie est le seul apte à vous attaquer sans craindre les représailles, nous savons qui se cache derrière le vaillant Emmanuel, toute une industrie qui souhaite vous faire payer des années de rackettage.
Bien vu !!! La porte est ouverte et d autres enseignes vont y avoir droit.
Nulle doute cher Michel-Edouard Leclerc, qu'aux énarques de Bercy s'ajoutent ceux présents chez vos concurrents au premier rang desquels Carrefour et Casino, leur féal de la FCD (féal pour ne pas dire commis) qui associés à ceux présents chez les industriels vont sans doute préférer voir l'état leur "imposer" ce qu'ils souhaitent -financer les hausses de tarif sur le dos des consommateurs- que d'organiser entre eux une entente verticale, c'est à dire se mettre d'accord entre industriels et distributeurs pour ne pas "brûler" trop de valeur sur l'autel de la baisse des prix!!! C'est la honte. Battez vous, ne leur laissez rien sinon c'est à nous qu'ils ne vont rien laisser!
il serait souhaitable que les consommateurs d'une meme ville ou département se regroupent en association afin de négocier tous les ans aupres de la GMS leurs achats comme le font les acheteurs LECLERC .L'enseigne la mieux disante serait référencer.
Vous proposez une coopérative de consommateurs ? C'est du déjà vu attention ;-)
Cette brulante actualité sur les relations distributeurs-fournisseur me fair faire
un grand bond en arrière

1972-1973
Responsable épicerie d'un Carrefour franchisé je suis avec un colléque suite
à une réunion à Annecy (fief à l'époque de Carrefour) mandaté pour rencontrer
la direction commerciale de Ferrero.
A l'époque Ferrero c'est essentiellement 'Mon Chéri' distribué exclusivement par
de puissants grossistes
Notre demande était donc:
De nouer des relations commerciales
D'étre livrer en direct
De négocier la reprise des invendus après la campagne de Noel
C'est ainsi que par un soir d'automne nous rencontrons SECRETEMENT
au restaurant de l'aéroport de Lens le directeur commercial de Ferrero
(Mr Bourdon ,je crois)

réponse
JAMAIS Ferrero ne traitera directement avec ce que l'on appelait pas encore
LA GRANDE DISTRIBUTION
La croissance de "richesse" semble de plus en plus avoir besoin d'inflation. Difficile dès lors d'imaginer une baisse (générale) des prix, d'autant que les entreprises se doivent de contenter leurs actionnaires lorsque leur capital est sur les marchés. Les Hedge Fund laisseraient-ils les multinationales présentes dans la GD - et représentant la presque totalité du CA - rogner leurs résultats ? Chacun se fera son opinion.... ou prendra note de leurs ratios et exigences... et arbitrages.
Bercy ne devrait il réguler plutôt qu'interférer ? Gérer la cité plutôt que "pomper" (pardon) la cité... Bercy : Juge et Partie ?
Etrange interprétation de la disproportionnalité entre fournisseur et distributeur ou, pour le moins, interprétation relativement partielle dans tous les cas.
Et ainsi que vous le dites, l'interrogation ou l'étrangeté de la mesure reste entière et parfaitement décalée si l'objet est de contrôler les prix... force est d'admettre toutefois que c'est là bien un tropisme français. Peut-être plus simple que de créer les conditions concurentielles idoines.
Galland c'était hier, Royer, avant hier, doit-on craindre un retour à l'Ancien Régime ?
Monsieur Leclerc, la dîme va t'elle revenir avec en pré-test la populaire GD ?
A vot'bon coeur M'sieurs,Dames...
Les consommateurs risquent fort d'en payer le prix fort à la fin... mais bon... tant que le pétrole est bas, le pouvoir d'achat est sensé être préservé (enfin, ca c'est la Grand-Messe qui est servie). Tant que le pétrole ne soit pas comestible, faudra bien continuer à faire ses courses. Ici ou là; Mais force est d'admettre que - selon - Leclerc est bien utile et qu'un poil à gratter, ça évite l'engourdissement et la sclérose ;-)
Un récent reportage de Capital sur M6 démontrait que Leclerc et nombre de ses concurrents utilisaient un système judicieux pour contre-carrer l'interdiction des marges arrières en exerçant des pressions sur les fournisseurs.
Plusieurs enseignes dont Leclerc ont été condamnées a de fortes amendes.
Alors de quoi parle-t-on aujourd'hui ? Qui dit la vérité dans cette histoire ? Le client est-il encore une fois le dindon de la farce ?
[...] cette condamnation n’empêche pas Michel Édouard Leclerc d’annoncer dans un billet sa remise en cause en cassation par le groupement d’achat des centres E. Leclerc car, écrit-il, [...]

Laisser un commentaire

Cette adresse n'apparaîtra pas à la publication
CAPTCHA
ÉCONOMIE Actus / Débats

Les vrais enjeux de la COP26

ÉCONOMIE Actus / Débats

Covid : tirer les leçons de la crise !