
Loi Macron, entre rumeurs et coquilles
Ça bouge au Sénat. Beaucoup de projets d’amendements. Les Sénateurs UMP ne font pas mystère de vouloir détricoter le projet gouvernemental. La Commission spéciale vient en tous les cas de supprimer l’article 10A qui limitait la liberté d’association des commerçants indépendants. Bonne nouvelle !
On relèvera que le groupe socialiste avait déposé de son côté un amendement qui en aurait limité la portée aux seuls commerçants franchisés, à l’exclusion des coopératives et groupements associés. Les sénateurs PS marquent ainsi leur différence avec leurs homologues de l’Assemblée, et quoi qu’il advienne des discussions en séance publique et en Commission mixte paritaire, ils offrent, par cette initiative, une porte de sortie au gouvernement s'il n'accepte pas la suppression de l'article.
Pas sûr que tout cela soit encore perçu dans les rédactions. Le sujet de la loi Macron, dans le contexte des rapprochements d’enseigne, est déjà bien compliqué, et quand certains journalistes y ajoutent une dose d’interprétation erronée, ça peut patiner sec ! Démonstration.
Le Monde se penche sur les alliances d’enseignes
Une double page (édition du 17 mars) pour fêter la nouvelle ère de la distribution. C’est vrai que pris sous l’angle des alliances, le secteur de la distribution ressemble un peu à Dallas (mes enfants vont encore me dire que mes références sont datées !).
Avez-vous repéré le mic-mac en Une du Monde (repris dans le chapeau général de l’article) qui publie à la surprise générale, les bans du mariage entre Intermarché et Carrefour ? Oops la grosse coquille ! Renseignements pris, chacun reste avec les mêmes.
Ce gentil couac a dû faire sourciller Jean-Charles Naouri, d’autant que lors d’une des dernières réunions de filière agro-alimentaire organisée par Stéphane Le Foll, le représentant de Casino avait commis un lapsus rigolo en plaidant durant plusieurs longues minutes pour l’alliance de son groupe avec… Système U (pourtant allié à Auchan) ! C’est l’auditoire qui rectifia.
Le bon docteur Freud, dont le commerce florissant s’accommode toujours des paiements en espèces à l’heure du numérique, aurait dit que tout cela est moins révélateur de « l’expression des désirs » que d’une fascination œdipienne du faible au fort. Je vous laisse attribuer les rôles !
Dans Linéaires, Florent Vacheret…
Comme moi, il sourit toujours sur les photos. Mais dans l’édito de ce mois, il se prend les pieds dans le tapis des articles de la loi Macron, en voulant distribuer bons et mauvais points.
A le lire, je jouerais le rôle d’un antilibéral, protectionniste, geôlier des adhérents E.Leclerc. Tandis que Serge Papin serait une sorte de Hulk, briseur des chaînes des indépendants, avocat de la fragilisation des liens entre associés, dont la stratégie serait validée par la stabilité et la croissance actuelles de Système U (ouarf, ouarf).
En fait, Florent a péché par paresse. Il n’a lu que la première ligne de l’amendement Brottes qui ne s’attaque « qu’à la durée des contrats… et aux clauses de non concurrence ». Si ce n’était que cela… ni E.Leclerc, ni Intermarché, ni la FCA n’en feraient tout un plat !
Le vrai enjeu, ce sont les 4 alinéas suivants, hyper pernicieux, qui obligeraient les commerçants associés et les coopérateurs à limiter dans la durée, tous les engagements mutuels entre associés, ainsi que ceux de leurs coopératives, de leurs outils nationaux et régionaux, y compris vis-à-vis des tiers, dont leurs financeurs.
C’est cette discrimination qui est le principal objet de notre contestation. Ce dispositif plomberait la capacité d’investissement collectif et personnel des commerçants associés, alors que la durée des pactes d’actionnaires du commerce intégré ne serait aucunement affectée.
Voilà cher Florent ce qu’occulte ton édito. L’enjeu n’est pas la liberté de sortir (personne ne la conteste), l’enjeu c’est la liberté de pouvoir durablement investir ensemble, et se donner les moyens de rester dans la course.
Tu dis que la précarité supposée des contrats U (tu parles !) n’a pas « empêché Les Nouveaux Commerçants d’investir et de prospérer… ». Tu poses la question : « se sont-ils fait dépouiller par la concurrence » ? Eh ben apparemment oui, aux dires cent fois répétés de Serge Papin lui-même, et je te renvoie pour nouvelle preuve à l’interview qu’il a donnée dans Le Monde.
Pour la loi Macron mais contre le mercato ? Va comprendre !
Serge Papin y revient sur les défections de ses associés. Justifiant le partenariat avec Auchan, il utilise cette expression qui devient même le titre de son interview « Système U devait mettre fin au mercato ».
C’est bien la preuve que :
1) La fluidité entre enseignes existe déjà sans la loi Macron (Système U oublie de mentionner qu’il intègre lui-même des Intermarchés)
2) malgré ses discours contradictoires sur la loi Macron, Serge Papin cherche finalement à offrir de la stabilité à ses associés. Et dans ce contexte, la loi Macron lui rend service.
On me permettra quand même de corriger une grosse intox distillée à souhait par le patron de U sur des soi-disant contrats de 25 ans chez E.Leclerc. Accusation qu’on a fait porter bien imprudemment par Emmanuel Macron jusqu’au banc des Ministres, devant la Représentation nationale !
Confusion (volontaire ?) entre durée des contrats et statuts de la société. Contrairement à ce qu’avance Papin, les coopérateurs d’E.Leclerc peuvent se retirer à tout moment de la coopérative (en respectant un préavis de 3 mois) par simple lettre recommandée avec accusé de réception (article 12 des statuts du GALEC).
L’histoire (et la jurisprudence !) de ces 15 dernières années a montré qu’il était possible de sortir du Mouvement E.Leclerc et que les conditions fixées (y compris les indemnités de sortie) n’étaient pas dissuasives.
Enfin, je relève amusé, que personne n’a réagi aux propos de Jérôme Bédier, le tout jeune promu DGA de Carrefour qui, dans Le Figaro du 8 mars, rappelle sans complexe aux associés U que son enseigne est le meilleur des franchiseurs !
L’appel à candidatures est lancé, y compris jusque dans Linéaires (lire « Comment Carrefour fait la cour aux propriétaires d’hypers » dans le N°311) !
Individualisme ou indépendance ?
Au-delà des interprétations des uns et de l’instrumentalisation par les autres, j’invite ceux qui pensent sincèrement que la transformation des groupements du commerce associé en auberges espagnoles favoriserait la concurrence, à méditer cette conclusion de la Cour d’Appel de Paris en date du 2 octobre 2008 : « des clauses qui limitent la liberté des coopérateurs, tout en renforçant la coopérative, renforcent la puissance concurrentielle de chaque opérateur grâce à la coopérative ».
Toute l’histoire de la distribution, celle du commerce coopératif notamment, de sa réussite comme de ses échecs (Codec, Coop, Spar…) témoigne que l’ennemi de l’indépendance, c’est l’individualisme. L’indépendance est une conquête et suppose qu’en réseau ou avec d’autres, on s’en donne durablement les moyens.
1 Commentaires
Pas aux consommateurs, c'est certains!
Bonne continuation. Erik