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Loi Macron et Autorité de la concurrence : des injonctions qui posent beaucoup de questions

J’ai pris le temps de regarder les débats sur la loi Macron à l’Assemblée nationale et notamment la discussion sur l’article 11 (création d’un droit d’injonction de l’Autorité de la concurrence, ADLC).

Il s’agit de doter l’Autorité de la concurrence du pouvoir d’obliger une entreprise à prendre des mesures (pouvant aller jusqu’à la vente forcée d’une partie de ses actifs) quand celle-ci détiendra une part de marché supérieure à 50% et qu’elle pratiquera des prix et des marges jugés trop élevés.

Je ne conteste pas au politique, loin de là, une volonté d’ouvrir plus de marchés à la concurrence. Mais expliquez-moi pourquoi ce projet ne devrait concerner que la distribution ?  Est-ce qu’on raisonnerait de la même manière s’il s’agissait du secteur bancaire, du luxe, ou des transports, de la distribution d’eau, de gaz, d’électricité ?

Et même s’agissant d’impacter le seul monde des hypermarchés, dites-moi donc en quoi le dispositif répressif actuel (sanctions d’abus de position dominante) serait insuffisant ? En quoi y a t-il urgence, sachant qu’un tel projet a déjà été voté en 2012 pour l’Outre-Mer, qu’il n’a jamais été appliqué, et qu’on ne dispose de ce fait d’aucune étude d’impact ni de retour d’expérience ?

Je ne veux pas polémiquer pour la simple polémique. Mais le député Poisson a raison, cette initiative qui ne s’appuie sur aucun critère clairement identifiable, et qui ne dit pas clairement son objectif, va rajouter beaucoup d’insécurité dans la vie des entreprises (qui n’en avaient pas besoin !).

Aussi, je me permets de conseiller à nos élus de retenir leur plume avant que d’avoir trouvé les réponses  aux questions que tous mes collègues de la distribution sont en train de se poser.

Ce projet me laisse perplexe. Arrêtons-nous sur les termes de l’article en question.

Domination ou abus de position dominante ?

L’une des exigences pour déclencher une procédure d’injonction serait qu’un magasin détienne plus de 50% de part de marché sur sa zone de chalandise.

Premier problème, la définition des zones de chalandise ne fait pas consensus. Deuxième problème : en droit français comme en droit européen, une position dominante ne constitue pas un abus en soi.

Je connais plus d’un élu qui en ville moyenne applaudirait à l’implantation d’un Ikea, d’un Espace culturel ou d’un Darty. Position dominante quasi-assurée dès l’ouverture ! Idem pour n’importe quel supermarché en zone rurale.

Une position dominante peut temporairement résulter du succès commercial d’une marque ou d’une innovation (Google, Apple…), d’un marché qu’une loi est venue refermer (règles d’urbanisme particulièrement restrictives), ou même d’une politique sélective des collectivités (Mairie de Paris sous Chirac), voire enfin d’une zone démographique trop peu importante pour faire coexister plusieurs acteurs (argument souvent invoqué par les élus en CDAC).

Des prix et des marges élevés ?

Qu’est-ce précisément qu’un magasin « qui soulève des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés » (rédaction législative de l’article 11) ? Je vous parie 1 portion de ticket E.Leclerc que dans l’esprit des rédacteurs, déjà, ce ne sont pas les magasins des secteurs du luxe, de la beauté et de la haute couture qui sont dans le collimateur. Ceux-là ont le droit d’être dominants par la marque et de vendre cher…« c’est culturel » ! Et toc. Les vraies cibles, ce sont les GSA et quelques GSS.

Un magasin qui détient une PdM supérieure à 50%, et qui aurait des marges supérieures à la moyenne d’une zone de chalandise ou d’un secteur professionnel devrait-il s’inquiéter ?

Etre accusé de pratiquer des prix et marges élevés n’est certes pas un reproche que les centres E.Leclerc ont à craindre. Donc je ne peux pas être suspecté de plaider pro domo. Il n’empêche, que de casse-têtes en perspective !

Cette histoire de marges est une affaire qui ne fait consensus auprès d’aucune institution. Il suffit de voir les débats homériques qui suivent la publication de chaque rapport de l’observatoire des prix et des marges pour deviner les problèmes qui se poseront à ceux qui vont devoir définir des indicateurs pour appliquer la loi…

Je connais des HD, supposés vendre peu cher, qui font des bénéfices très élevés. Je connais des commerçants qui ont des marges élevées, des prix élevés, mais qui ne gagnent rien. Je connais des commerçants qui ont des marges élevées et qui vendent pas cher. Je connais des commerçants qui sur certains secteurs ont des marges élevées, et sur d’autres pas.

Dîtes-moi donc sur quels critères objectifs s’appuiera l’Autorité de la Concurrence pour décider que des magasins pratiquent des marges trop hautes ou trop basses ?

Des débats déjà dépassés…

D’abord, tous ces débats, comme lors du vote de la Tascom, sont pleins des relents de la vieille économie. On y parle que de magasins physiques. A l’heure où les enseignes tentent des stratégies  multi-canal et multi-format, pourquoi s’obstine-t-on à ne parler que de la part de marché d’un magasin sur sa zone de chalandise.

La question n’est pas banale, excusez-moi, s’agissant notamment de ce que le législateur refuse d’appeler sanction (l’obligation de cession d’un magasin ou la fermeture d’un morceau de magasin). Au fait, que devient la notion de zone de chalandise à l’heure du web ? Interdira-t-on à un « Amazon » ou à tout autre pure player de vendre sur internet dans certaines zones et ce au motif de diminuer sa part de marché ?

Que veulent les politiques au final avec la concurrence ?

Au fond des choses, est-ce qu’on ne nagerait pas en pleine schizophrénie politique ?

Urbanisme commercial : les parlementaires nous expliquent dans le cadre de la loi Macron qu’il faut encourager la création de supermarchés et d’hypermarchés, pour stimuler la concurrence et ainsi faire baisser les prix au bénéfice du consommateur. Soit.

Mais le problème, c’est que ces mêmes parlementaires ont (durant cette même législature !), via les lois Pinel ou Duflot par exemple, édicté des règles d’urbanisme (pour lutter contre l’artificialisation des terres, ou défendre le petit commerce de centre-ville, etc.) qui avaient pour ambition revendiquée de stopper ou ralentir la création de drives et de nouvelles surfaces commerciales !

Franchement, où est donc la cohérence ?

J’ai même entendu des parlementaires expliquer, cartes de France à l’appui, qu’une sorte de Yalta secret entre distributeurs aurait abouti au partage du territoire français car, dixit l’un d’entre eux, « quand on regarde la carte des implantations de magasins, c’est très clair ».  Ah bon ?

Oui bien sûr chaque enseigne a des positions fortes dans certaines régions. C’est le fruit de l’histoire, celle des centres E.leclerc qui se sont développés à partir de la Bretagne, des enseignes de la famille Mulliez à partir du Nord, de Casino à Saint-Etienne, de Système U en Vendée, etc. And so what ?

Dans la guerre des prix actuelle, vous imaginez vraiment Papin ou Plassat m’appeler avant de choisir un terrain ?

Vers une économie administrée ?

Pour moi, c’est clair. On se trompe d’objectif. S’il s’agit de mettre plus de concurrence dans certaines villes ou régions, il appartient aux élus locaux d’accepter de nouveaux acteurs. Il y a eu beaucoup de pétitionnaires pour vouloir s’implanter dans Paris. Et je peux témoigner que  dans l’histoire des centres E.Leclerc, j’ai connu plusieurs maires qui ont interdit à l’enseigne l’accès à leur ville sous prétexte qu’on était des discounters et qu’ils voulaient « des magasins plus chics ».

Cette histoire est quand même paradoxale.

Emmanuel Macron avec qui j’ai eu la possibilité de dialoguer plusieurs fois, m’a toujours dit sa conviction de vouloir justement faire jouer la concurrence. C’est même derrière cette ambition qu’il a placé sa loi. Mais alors pourquoi s’abriter derrière l’Autorité de la Concurrence pour créer une normalisation des prix et des marges ? Car c’est bien de cela dont il s’agit.

4 Commentaires

Cher Mel, votre texte est tellement riche et je suis tellement d'accord avec votre analyse que cela incite à être bref.
Vous concluez en évoquant "la conviction d'Emmanuel Macron"!?!? J'ai bien peur que la conviction d'un politique doivent également être évaluée à l'aune de son courage ; en la matière depuis déjà quelques générations d'Enarques aux manettes, ça n'est pas cela qui les caractérisent.
A titre d'exemple d'une autre actualité brûlante, la fin du dialogue social sur un constat d'échec après 4 mois de négociations va renvoyer le politique à sa responsabilité : proposer, décider! Ce qu'il ne veut plus faire ; envoyant en permanence à des tiers tout ce qui relève de sa propre autorité régalienne : éclairer, instruire, débattre, décider. Ainsi, chaque fois que l'indécence inepte de sa démission de son rôle ne lui saute pas au visage, le politique renvoie à des tiers, aux branches, à l'interprofession (Medef), aux partenaires sociaux, à une des dizaines "d'Autorités" qu'il a créé autant pour constituer des sinécures que pour embourber des dossiers, à l'administration...à n'importe "qui veut bien s'en saisir"... "qui" parfois lui renvoie en boomerang, le forçant ainsi à assumer contre son gré la responsabilité qui fonde pourtant l'action politique démocratique.
En matière de concurrence donc ; sans inspiration, ni idée, ni désormais conviction, le politique renvoie à l'Autorité de la Concurrence, qui elle, hélas, va garder ; puis, dans le secret de sa complexité administrative, décider à la place du politique, sans débat!
Combien de temps cela va t'il durer ainsi?
Bon courage à vous Monsieur Leclerc, et bravo pour votre analyse.
Bonjour Michel,
Comment ne pas te donner raison devant de telles explications argumentées.
Au travers de ton analyse et tes explications pertinentes, j'espère que cela apportera une réflexion objective et une ouverture d'esprit au débat de nos chers parlementaires...
Bravo pour l'analyse et sa simplification dans la traduction.
Bien amicalement
Marc Payraudeau
Bien dit,
Quelle perte de temps pour ces lois "usines à gaz", ce n'est pas pour ça qu'ils ont été élu, nous avons des problèmes au quotidien à résoudre. N'y a-t-il pas des possibilités simple et rapides d'agir pour le "mieux vivre" de la population en général ?
Mon résonnement est simpliste mais c'est ce que les gens attendent, de l'action, du concret pour leur vie quotidienne ! ...
Salut Mel!
La simplification en prend un coup dans l'aile! Nous avons élu les champions des pâtissiers. Vous reprendrez bien un peu de mille feuilles?

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