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Prix agricoles et agroalimentaires (2) : comment sortir de la schizophrénie ?

Les Centres E.Leclerc seront donc représentés jeudi matin autour de Madame Delga et de Messieurs Le Foll et Macron. Une grand-messe dont le déménagement de Bercy à la rue de Grenelle (ministère de l’Agriculture) constitue déjà une belle victoire des grands industriels. C’est la 3e fois en quelques jours qu’Emmanuel Macron se fait piquer la maîtrise d’un dossier majeur (réforme des professions juridiques par Christiane Taubira et professions de Santé par Marisol Touraine) !!!

A contrario, on voit l’habileté tactique de Stéphane Le Foll. Il n’a rien à offrir aux agriculteurs, si ce n’est que d’appeler le secteur de l’aval à s’entendre et les distributeurs à enrayer la baisse des prix. Les industriels n’en demandaient pas plus : on pousse les petits devant, on invoque le sort des agriculteurs et des PME, et oops, on met la négociation sous tutelle et les grandes marques s’en réjouissent d’avance. Joli coup !

De quoi discutera-t-on jeudi ?

De tout, sauf de l’absence de politique agricole, sociale et fiscale commune aux Européens. C’est sûr, personne n’évoquera les problèmes de mise en marché, la défaillance des mécanismes régulateurs, etc.

Par contre, on y parlera des prix. Les industriels évoqueront la déflation sur les grandes marques. Et même si la valeur de celles-ci incorpore de moins en moins de matières premières, c’est au nom de la défense du modèle français agricole qu’ils réclameront une hausse générale des prix.

La schizophrénie sur les prix

Jusqu’en septembre, les légumiers du Sud-Ouest (venus faire des ventes directes à Paris fin août), les producteurs d’artichauts bretons (coup de gueule en août/septembre), les éleveurs de l’Ouest et d’Alsace (septembre) dénonçaient des prix élevés dans la distribution.

Les dernières manifs en Moselle (18 octobre) dénoncent au contraire, des prix trop bas.

Idem pour les promos. Cet été, des groupements de producteurs de l’Ouest et de l’Est proposaient aux distributeurs d’organiser des méga opérations de « dégagement » avec des barquettes de porc à prix cassés. Avec cette idée en tête, qu’une promo c’est une opportunité d’achat forcément éphémère et en offre limitée, ce qui ne perturbe pas un cours permanent plus élevé.

Dix jours plus tard, les syndicats des mêmes régions fustigeaient ces promos parce qu’elles tiraient « le cours vers le bas ». Et carrément, les mêmes proposaient d’interdire toute promo.

Pas facile pour les cadres de la distribution en charge des achats d’éviter la crise de nerfs :-)

Vendre moins cher ?

Dans un tract diffusé samedi 18 octobre par des représentants de la FDSEA de Moselle, je lis un appel à organiser « des actions de blocage des supermarchés E.Leclerc qui revendiquent d’être moins chers ».

Incroyable ! On aurait quand même pu imaginer que ces manifestants auraient eu à cœur de dénoncer les marges élevées de ceux qui vendent cher, freinant ainsi la vente de produits français en cette période de marasme.

Bah ! Ne croyez surtout pas qu’il y a là-dessous une belle manip’ de quelques grands industriels et concurrents réunis !

De toute façon, j’ai appris depuis longtemps que si elle nous vaut grande popularité, la défense du pouvoir d’achat n’est pas une sinécure.

Donc il faudrait remonter les prix dans les Centres E.Leclerc ? Mais pour quels effets attendus ? Croit-on vraiment que c’est en vendant plus cher qu’on vendra plus ? C’est au moment où l’Etat lui-même a du mal à cautionner une hausse minime sur le prix du gaz, le gasoil ou le timbre-poste, qu’il faudrait remonter les prix dans les hyper ? Et ce faisant, il nous faudrait être maso et nous priver de cet avantage compétitif vis-à-vis de concurrents qui semblent avoir découvert récemment les vertus du prix bas. En gros, E.Leclerc devrait monter ses prix quand Géant ou Carrefour les descendraient ?

Non, non nous susurre-t-on dans certains cabinets ministériels il faut un mouvement collectif, la lutte contre la déflation est à ce prix.

Si la solution est de remonter les prix de vente dans la distribution, pourquoi les pouvoirs publics se gardent-ils de le dire publiquement ? Ce serait illégal  de le dire ? Ce serait encore plus illégal de le faire.

Acheter plus cher ?

A défaut de pouvoir vendre plus cher au consommateur, pourrait-on envisager d’acheter plus cher en acceptant de payer un surprix ce qui nous ferait sortir ainsi des règles du marché ?

Avant tout, constatons : même si les prix ne sont pas assez rémunérateurs pour nos producteurs, la distribution française reste leur meilleur client. Je mets au défi nos accusateurs de nous citer des distributeurs européens qui rémunèrent mieux les producteurs français. Colruyt n’est pas manchot dans la guerre des prix en Belgique, les hard discounters (Aldi et Lidl) non plus en Allemagne, et les prix d’EsseLunga en Italie ne laissent pas croire qu’il achète cher.

S’il s’agit d’acheter plus cher ponctuellement ou de créer des opérations privilégiant le marché national et local, les enseignes françaises sont parmi les meilleures en Europe. Le taux de patriotisme, le taux de détention des produits nationaux, y est de loin le plus élevé, excepté en  Suisse (protectionnisme).

La question d’un prix d’achat permanent plus élevé, dès qu’elle dépasse une politique de mécénat, un volontarisme d’enseigne, et surtout si elle doit s’exprimer par un engagement collectif, se heurte à la législation sur la concurrence.

Juridiquement la loi empêche de privilégier les produits français au détriment des produits européens. Est-ce alors au consommateur français de subventionner par ses achats les producteurs de l’UE (entre nous, c’est ce qui s’est passé quand on a été sollicité par le médiateur sur le lait, pour en surpayer le prix) ? Pas sûr que, s’ils le savaient, ce soit une décision appréciée par les consommateurs…

A chacun sa responsabilité

« Alors maintenant on fait quoi ? », comme dirait mon cousin.

Je veux bien admettre que la concurrence entre distributeurs européens fasse pression sur l’amont. Mais j’ai du mal à croire que la seule négociation française entre les équipes de Danone ou de Nestlé et celles de n’importe quel distributeur hexagonal impacte à ce point le cours mondial de la poudre de lait qui sert de prix directeur à ce marché.

Et surtout, à force de vouloir tout mélanger, on en oublierait la spécificité des produits agricoles. Ce qui pose le plus de problèmes aujourd’hui, c’est la volatilité des cours. Les variations du cours des matières premières agricoles n’ont rien à voir avec une déflation due aux gains de productivité, comme par exemple dans l’industrie manufacturière.

Depuis le Traité de Rome, la PAC a fourni des milliards d’euros de subventions qui ont occulté la question de la régulation de l’offre sur ces marchés. Aujourd’hui, il n’y a plus d’argent dans les caisses de la PAC. C’était prévu, c’était annoncé.

Pour moi, c’est une ineptie que de vouloir obtenir aujourd’hui des distributeurs, en compensation, une sorte de garantie de cours, de surprix, qui ne serait pratiquée que sur le marché français et avec les seuls produits français.

Alors, tant qu’on discute de l’amélioration des comportements sur le marché et de son fonctionnement, tout distributeur (dont E.Leclerc) doit répondre présent. S’il s’agit d’interpeller les distributeurs pour aider la profession à valoriser nos productions nationales, d’accord.  Mais si les pouvoirs publics comptent se servir des distributeurs pour couvrir des pratiques qui les font sortir du marché, alors c’est non. Le reste, c’est de la politique.

4 Commentaires

bonjour
bien dit je suis d'accord avec vous de toute façon
mon magasin préféré est Leclerc point de vue hygiène
clientèle relativement agréable et le choix il est sur que si les prix
augment je réviserais ma position
quand au choix d'acheter des médicaments en grandes surface
cela ne me gene pas du tout et ça peut etre un gagne temps merci
Tout est dit cher MEL!
Néanmoins il est à craindre que la rationalité de l'analyse d'un acteur économique pèse bien peu au regard du besoin tristement répétitif de cette association de Moloch (politiques et syndicalistes patronaux de tous crins) : il faut un coupable, on veut "bouffer" de l'hypermarché! Ils ne sont pas dans la recherche d'éléments de convergence entre acteurs d'une filière dont la pérennité des rapports ne peut qu'inciter à rechercher des solution loin du marigot, mais dans la désignation à la vindicte... Le temps du politique et de ses affidés (journaleux complaisants, hauts fonctionnaires défroqués, pique-assiettes et autres...) pour compté qu'il soit, n'est décidément pas le temps de tout le monde!!! Cela me fait penser à un type qui tombant dans le vide depuis le 120e étage d'une tour passerait devant le 98e disant : "jusque là, tout va bien..."
Bon courage pour affronter cette mer là, pas vraiment démontée, mais courants très très trèèèèès changeants...
Merci pour ce texte intéressant. Quoique très subjectif évidemment, il a l'avantage de donner un point de vue de la distribution.
Mais, après cette lecture, ma question serait plutôt : dénoncer ce qui ne va pas et pourquoi la situation en est arrivée là est une bonne chose. Mais que proposez-vous pour que nos producteurs (de viandes, de légumes, etc.) soient adéquatement rémunérés selon la qualité de leur travail ?
Vraiment rien à ajouter, c'est clair, complet, sérieux, tout y est.
L'une des meilleures "productions" de MEL.
Espérons que nos politiques prendront connaissance de ce document qui devrait les éclairer sur leurs futures décisions "politiques".

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