
Amazon rachète Whole Foods : qu'est-ce que cela signifie ?
L’annonce a fait grand bruit : Amazon a racheté Whole Foods, le géant américain de la distribution de produits bio, fort de son réseau de 460 points de vente. Coût de l’opération : 13,7 milliards de dollars. Colossal.
Nicolas Demorand m’a invité à réagir à cet événement, mercredi 21 juin sur France Inter. Voici ce que je lui ai raconté (vous pouvez aussi écouter l’émission ici).
Ce rachat confirme plusieurs choses :
1- A l’heure de la révolution numérique et de la guerre que s’apprêtent à mener les géants du web aux commerçants « traditionnels », il est temps qu’on cesse, en France, d’opposer grandes surfaces et petits commerces, ou encore : commerces de centre-ville et de périphérie. La nouvelle donne, c’est l’arrivée en force de nouveaux acteurs, dotés d’une puissance mondiale (Amazon, Alibaba et toutes sortes de plateformes commerciales).
2- Un acteur du numérique qui investit dans des magasins bien réels, qu'est-ce que cela signifie ? D'abord, que le slogan « la fin des hypers », prophétisé par Amazon, c’était du bluff - n'en déplaise aux chroniqueurs qui ont trop vite enterré la notion de magasin !
Toute la distrisphère phosphore : Une augmentation de puissance ? Le rachat de parts de marché ? L'acquisition d'un réseau de points d'enlèvements de marchandises ? Je n'y crois pas ! Amazon n'a pas besoin de ces outils pour se développer, ce serait cher payé, et puis pourquoi acheter une clientèle alors qu'Amazon sait faire mieux que ce monde-là ! Et surtout, Whole Foods, c'est un réseau de magasins trop grand pour servir de maillage à un service de livraison.
La grande force d'Amazon, c'est la promesse : « Où que vous soyez, Amazon vous livre. » La technologie permet un niveau de service extraordinaire. Quand Amazon est seul sur son marché, c'est le meilleur ! Mais, dans un système « à plusieurs », ce ne sera plus assez différenciant. Surtout que ça fonctionne bien pour le non-alimentaire ou quelques riches marchés urbains, mais pas pour le food quotidien. Et donc…
3- Cette initiative montre bien que la technologie-même « au service d'un service » ne suffit pas. Ca ne suffit pas à créer l’adhésion des consommateurs. Une plateforme, au milieu d'autres plateformes, a besoin d'une marque, d'une promesse, qui fasse sens. Avec Whole Foods, Amazon achète, très cher, un savoir-faire alimentaire, une vitrine, une image qualitative… donc une très belle marque. C'est un formidable show-room dont il pourra décliner les gammes au niveau mondial.
4- Le résultat des deux objectifs combinés (efficacité du service d’une part, sens et qualité d’autre part), c’est le croisement des courbes entre les acteurs du e-commerce et les commerçants « traditionnels » : nos enseignes font l'apprentissage du web quand les Amazon ou Alibaba achètent des magasins physiques !
5- Comme quoi, numérique et physique ne s'opposent pas forcément, ils peuvent se nourrir l'un de l'autre : le virtuel globalise un réel ancré dans les terroirs, et le réel donne à toucher et crédibilise le virtuel. J'affirme : dans l'alimentaire, la bataille à venir n'opposera pas le e-commerce aux hypermarchés ! La concurrence opposera des enseignes multi-canales. Et Costco, le nouvel entrant américain sur le marché français, ne pourra pas se contenter d'ouvrir quelques magasins.
Pour écouter l’émission, c’est ici :
6 Commentaires
Un point de vue toujours pertinent, un réel plaisir de lire vos billets!
Je me permets, c'est suffisamment rare pour le noter, une petite coquille sur le coût de l'opération (14 milliards de dollars et non 13 millions d'€uros)... A ce prix là, même votre Groupement ne serait pas resté insensible!
Cordialement,
FB
Au delà, il faut également voir le bilan de l'entreprise, si celui-ci présente peu d'endettement et une trésorerie suffisante ça améliore d'autant la valeur de l'entreprise alors qu'une entreprise lourdement endettée même des plus profitable (carrefour par exemple) aura une valeur moindre.
Le problème avec le modèle multi-canal en alimentaire c'est que la partie en ligne finit inévitablement par ajouter plus de coûts et de complexité que de chiffres d'affaires, meme pour un leader comme Leclerc. Vous l'avez bien dit lors de votre intervention au World Retail Congress en 2014: "Le succès du Drive c'est ses limites." C'est à dire au delà d'une certaine limite (que Leclerc a déja dépassée je pense), le niveau de nouveaux clients et/ou augmentation de dépenses de clients existants devient trop faible par rapport à la baisse de rentabilité due au transfer de clients qui faisaient eux-memes leurs courses dans les magasins en clients pour qui cette corvée est prise en charge par le distributeur gratuitement...
Voila pourquoi Kroger, l'un des leaders du "click & collect" aux Etats-Unis, a du récemment prévenir ses actionnaires que l'accélération de son service "Clicklist" allait peser de plus en plus sur ses marges (ce qui a provoqué une forte chute du prix de l'action). Et pourquoi le leader Britannique Tesco n'a pas baissé les prix pour ralentir la montée du hard discount après la crise financière en 2008, la ruée pour gagner sur le terrain de livraison à domicile (qui rogne les marges encore plus que le Drive) étant déja un lourd fardeau à maintenir...
Voilà le méchant secret du multi-canal alimentaire que presque personne n'ose regarder de face. Les distributeurs français ont eu la chance (l'intelligence?) de se concentrer sur le modèle économique qui leur fait le moins mal - le Drive. Mais pendant combien de temps cela peut-il durer, étant donné les ambitions d'Amazon dans l'alimentaire? Grande question numéro un.
Et puis, grande question #2, d'ou viendra ce nouveau modèle qui rassemble le meilleur des deux mondes, evoque par JGT plus haut? Amazon? Ou l'un des distributeurs "classiques" sera-t-il pret à innover véritablement - c'est à dire à casser son modèle existant pour en recréer un autre qui intègre non seulement le meilleur de l'expérience client mais aussi la logistique multi-canal?
Une indice à suivre: le premier qui réussit à apporter l'automatisation jusqu'au niveau magasin de façon économique (ce qui n'est pas encore possible aujourd'hui, meme avec les robots Kiva d'Amazon) sera bien parti pour emporter la course.