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Pouvoir d’achat : Le rationnel et le subjectif
Le 21 septembre, je publierai les dernières estimations de l’évolution du pouvoir d’achat effectif des Français, telle que mesurée par le BIPE (Bureau d’Information et de Prévisions Economiques).
Depuis trois ans, en partenariat avec cet important institut d’études économiques, nous travaillons à partir des données macroéconomiques de l’INSEE, dont nous ne contestons pas la fiabilité, mais que nous affinons en essayant d’intégrer toutes les données objectives qui conditionnent la perception qu’ont les consommateurs de leur pouvoir d’achat réel (Cf. note du 5/07/05 et note du 11/10/05).
L’enjeu est de taille.
1) D’abord, parce que ce sera un thème central de la campagne électorale pour les Présidentielles. Tous les partis politiques se focalisent sur ce thème.
2) Il conditionne le maintien du rythme de la consommation et, de surcroît, celui des bons indices (en tout cas moins mauvais) qui redonnent un peu de couleur à la croissance française.
En attendant la publication de ces nouveaux chiffrages (je rappelle que Thierry Breton parle d’une perspective d’augmentation de 2,4 % alors que la CFTC parle d’une baisse de 0,5 % !!!), je relève ici deux points de vue qu’il faut garder en mémoire si l’on veut comprendre la perception qu’ont les Français de leurs revenus et les comportements qui en découlent (épargne et consommation).
a) La mesure objective du pouvoir d’achat
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n’avait pas apprécié nos premières publications BIPE/E. Leclerc. Outre que nous contredisions les perspectives officielles, nous plaidions pour qu’on « revisite » les statistiques nationales en défalquant des revenus l’augmentation des dépenses « contraintes » sur lesquelles le consommateur n’a pas de prise. (A l’époque, Jean-Pierre Raffarin, Francis Mer, puis Renaud Dutreil avaient considéré que nos observations étaient « trop subjectives pour être honnêtes »).
Que disions-nous ? Rien d’autre que ce que Favilla (Les Echos, 30/08/06) résume à son tour : « Le ménage est habitué à mesurer son pouvoir d’achat à ce qui lui reste pour ses dépenses courantes, après prélèvements fiscaux et sociaux. Or, s’y ajoutent depuis quelques années diverses cotisations et abonnements (internet, téléphone portable), nouvelles dépenses contraintes s’ajoutant à l’électricité, au gaz, au loyer, à la mutuelle ».
C’est ainsi. Chaque mois, dans de nombreux foyers, on continue physiquement ou dans la tête à « mettre de côté », outre les sommes destinées aux impôts, les montants correspondant au remboursement des emprunts, des loyers et les sommes affectées au budget énergie (carburant, fuel) et transport. Dans l’esprit des gens, et par nécessité de gestion, ces dépenses sont perçues comme une sorte de deuxième fiscalité.
De fait, ces dernières dépenses augmentent plus vite que l’inflation moyenne. Et c’est ce que reprend aussi à son compte l’Institut National de la Consommation (INC) qui, dans sa livraison de septembre (datée du 29/08/06), estime qu’une fois déduites ces charges, « la hausse du pouvoir d’achat n’est que de 0,9 % ».
Il est étonnant que l’INSEE n’ait pas de lui-même cherché à affiner la présentation de ces indicateurs. Une telle approche d’ailleurs ne lui est pas étrangère puisqu’il publie des statistiques sur le « niveau de vie des Français » qui corroborent assez bien les analyses du BIPE.
Mais c’est la réaction du politique qui me paraît témoigner d’un total aveuglement. Du point de vue des ménages (et donc des électeurs), il est de toute façon contre-productif de vouloir à tout prix s’appuyer sur des statistiques macroéconomiques qui, pour être justes, n’en sont pas moins incompréhensibles et considérées comme irréalistes par chacun. Agiter de bons indices globaux, les brandir comme une victoire (même si c’est le cas), entraînent forcément scepticisme et irritation chez ceux que l’on présente comme « plus riches » mais qui sont peut-être dans le rouge.
A cette distorsion croissante entre la statistique nationale et la comptabilité des foyers s’ajoute une frustration née justement de l’accroissement des dépenses contraintes.
- Les économistes ont certes raison : une grande partie de ces dépenses sont des consommations qui, en théorie, participent de l’accroissement du niveau de vie des Français. Et pour ainsi dire, même les cotisations-retraite constituent une forme de consommation différée…
- Mais…comme le dit encore très bien Favilla : « Au sein de l’enveloppe des pouvoirs d’achat, l’accroissement et l’espace de ces charges (contraintes) réduisent…ceux des libres dépenses et…subjectivement de la liberté ». Le BIPE estime qu’elles représentent plus d’un tiers du revenu consommé.
b) Pouvoir d’achat, vouloir d’achat et niveau de vie
L’autre idée, c’est celle que développe Olivier Dauvers dans sa « Tribune Grande Conso » (n° 33, septembre). Je cite : « La perception du pouvoir d’achat dépend tout autant de la froide réalité du budget familial que du « vouloir d’achat ».
On aborde là l’aspect subjectif du problème.
Oui, les Français consomment plus. En fait, ils n’ont d’ailleurs jamais autant consommé. Question : comment concilier cette boulimie d’achats avec cette notion de stagnation du pouvoir d’achat !
Outre l’explication précédente, objective (les dépenses de transport ou de fuel constituent bien « une consommation »), l’explication tient à la distorsion entre deux courbes qui s’éloignent : celle de la capacité d’achat et celle de l’accroissement (de l’accélération de l’offre) de produits achetables.
Nous sommes passés d’une économie de la demande à une économie de l’offre dont les produits ont des valeurs unitaires sans commune mesure avec la valeur des biens vendus dans les années 60/70. Hier, on arbitrait dans les foyers entre « manger à la maison » ou « aller au restaurant ». Aujourd’hui, on parle de choisir entre « 15 jours au ski » ou « acheter un écran plat ». En quinze ans, les Français n’ont pas eu le temps de s’apercevoir combien ils ont radicalement changé leur mode de consommation. Et le coût réel de celle-ci.
Olivier Dauvers donne cet exemple : « En 18 mois, le prix des écrans plasma a été divisé par deux : de 3 000 à 1 500 €… C’est certes une extraordinaire déflation…mais c’est encore…1,5 fois le Smic ». Alors dit O. Dauvers, le marché des nouveaux écrans « se démocratise » peut-être. Il fait naître une envie d’achat, mais il faut évidemment beaucoup plus de pouvoir d’achat pour acheter cet article qu’il n’en fallait pour acheter une TV ordinaire.
Les exemples abondent en ce sens (deuxième voiture, scooter, lecteur DVD, GPS, deuxième ordinateur, téléphones mobiles, etc.) qui plombent la facture mensuelle à coups d’abonnements, de prélèvements automatiques, et en remboursement d’emprunts. Quand dans les médias ou sur les pubs, tous ces produits sont présentés finalement d’une manière assez banalisée, on finit par le croire même quand on n’a pas vraiment les moyens de les acquérir. (C’est une des raisons d’une recrudescence de l’endettement des ménages). Ca soutient la consommation, mais entretient aussi l’anxiété quand viennent les échéances.
Conclusion :
Ne nous faisons donc pas d’illusion. La querelle sur le pouvoir d’achat va être l’objet d’une âpre surenchère, dans le contexte de la rentrée sociale, mais probablement plus encore dans la perspective des élections présidentielles.
Mais au-delà de cet impact de court terme, il va falloir compter sur la permanence (bien au-delà des échéances électorales) du divorce entre les statistiques et les frustrations des Français.
C’est autant une leçon de philosophie que de politique. Il faut s’attaquer à la pauvreté, et à l’amélioration du pouvoir d’achat (par les revenus, les transferts sociaux et les prix). Mais si l’on veut durablement s’attaquer aux tensions liées aux frustrations de la société de consommation, il faut réfléchir à un mode de vie qui suscite d’autres espérances, d’autres projets qu’un matérialisme fondé sur la seule quête de l’avoir et l’accumulation. (Question subsidiaire : le système peut-il survivre à cette alternative… Voilà de quoi interroger nos présidentiables).
11 Commentaires
Là, c'est encore un vaste problème. Peut-on mélanger "pouvoir d'achat" et "niveau de vie"? Une chose est sûre, le niveau de vie augmente : le PC, internet, la téléphonie, les écrans plasmas, les vacances d'été et d'hivers, l'amélioration du cadre de vie avec notamment le plan Borloo (des immeubles moins hauts et moins grands pour une meilleure cohésion sociale avec un peu plus d'espaces verts), des aménagements de jeux dans les espaces verts pour les enfants (qui ont aussi un coût, certes indirect, pour les ménages)... Pour les uns, le consommateur n'est pas obligé de changer de TV à chaque nouveau modéle. De même pour le PC. Bien sûr qu'il y a dans ce concept une part de vérité.
Oui mais voilà. Est-ce-que l'évolution de la société française intégrée dans l'Europe nous en laisse le choix? Pour trouver un emploi, l'ANPE installe des PC à tour de bras, la rédaction du CV oblige, la mobilité géographique devant être requise. Sans PC personnel, il faudrait alors que l'ANPE montre l'exemple en installant non pas 10 PC par agence mais 4000!!!! car une recherche d'emploi peut occuper une personne motivée pendant au moins 8 heures. Le travail en entreprise et dans l'administration, en général, demande de plus en plus de compétences en informatique (les policiers notamment sur les réseaux de pédophilie, les déclarations d'impôts sur Internet, la comptabilité, la transparence...). En revanche, je ne pense pas que la télévision à écran plasma constitue un impératif aujourd'hui dans la vie des ménages car cela ne rentre pas dans l'évolution de la société, enfin si, mais plus dans les biens de consommation que par besoin de démarches administratives.
D'autre part, les vacances d'été comme d'hivers s'appuient sur une politique volontaire des régions à développer le tourisme. Est-ce pour autant un besoin et peut-on classer le tourisme comme un impératif de la vie courante? Peut-on le considérer comme un pouvoir d'achat indispensable dans la vie d'un ménage au même titre que les impôts où autres ?
Ce sont pour ces raisons qu'il serait souhaitable de redéfinir le pouvoir d'achat actuel en tenant compte des obligations d'investissements des ménages dûes aux impératifs de la vie courante administrative.
Tchao M.E.L.
Vous avez décidément réponse à tout... malheureusement cela tombe souvent à côté de la question... Dommage ! C'est bien de vouloir s'intéresser à tous les problèmes, mais...
Vous n'avez qu'une réponse tout à fait étrangère aux vrais problèmes économiques...
PROGRESSEZ !
Essayez donc de sérier un peu plus les problèmes ; votre vision est un peu superficielle. Ceci-dit sans animosité...
Je ne pense pas avoir une vision superficielle du problème dans la mesure où je suis partisante de dire que le pouvoir d'achat est en baisse. Certains politiques pensent qu'une augmentation du SMIC aux alentours de 1500,00 euros/mois serait bénéfique pour le pouvoir d'achat. Mais déjà, il s'agit du salaire brut ; d'autres charges, comme la CSG, sont ajoutées non seulement sur votre bulletin de salaire mais aussi sur des produits d'épargne (PEL...). Les complémentaires de santé augmentent pour une sécurité sociale qui rembourse de moins en moins. Les besoins de la vie courante ne se limitent pas qu'aux impôts où divers taxes comptées dans la définition du pouvoir d'achat : le PC et le téléphone sont aujourd'hui indispensables dans la vie des ménages. Or, vous réglez les abonnements. Il reste ce que l'on appelle le pouvoir d'achat (l'argent disponible après tous ces prélèvements pour faire vos courses). Le temps partiel réduit votre salaire, les nounous à régler lorsque les enfants sont en bas âge..., tout cela contribue à le réduire. Reste les allocations qui mettent du beurre dans les épinards.
Sur une moyenne nationale établie, les RMistes, les chômeurs contribuent à faire diminuer par leur nombre la courbe de la consommation. De nouveaux termes apparaîssent comme, par exemple, "les nouveaux pauvres", les "RMistes", "les sans-domiciles fixes" (hors statistique), "les gens en dessous du seuil de pauvreté", "l'autorisation de découvert accordée par votre banque", "le crédit", "le sur-endettement", "360 millions de repas distribués par année par les restos du coeur"...
Il est évident que lors d'une intervention télévisée, un des JT nous présente un ministre qui nous dit que le pouvoir d'achat augmente dans un reportage et que 2 secondes après, dans un autre reportage, on nous montre Michel Edouard Leclerc affirmé que le pouvoir d'achat diminue, j'en déduis que seule, une redéfinition du pouvoir d'achat s'impose de façon objective en tenant compte d'un certain nombre de paramètres et de critères. Quant à l'inflation qui diminuerait, moi, tout ce que j'ai vu, c'est une diminution des taux d'intérêts bancaires. Et le pouvoir d'achat se porte bien ?
Peut-être avez-vous raison, ça doit être moi qui ne comprend pas.
Tchao M.E.L. et Tchao Vigilant
Ami.
J'avais caressé l'espoir que votre initiative sur le suivi des prix des produits rendent enfin public le détail des prix et produits et non un indice non pertinent de plus (avec discussions stériles sur l'honnêteté ou non des "résultats", impossibles à vérifier), mais malheureusement il n'y a pas eu de réponse ni en acte ni sur ce blog.
Encore un gadget "global" et inutile, un article de blog, deux articles dans les journaux ?
Bof.
Utilisez les moyens d'aujourd'hui, publiez vos données brutes, laissez la blogosphère en débattre et à chacun de se trouver son inflation et son pouvoir d'achat.
Et que parmi l'offre que le meilleur gagne vraiment (MEL ou les autres :).
Sincerement,
Laurent
Quand on ne travaille pas, on n'a pas besoin d'un portable (et les enfants non plus), on nourrit sa famille avec quelques euros (car on a le temps de cuisiner), on paye moins cher les vêtements (car on a le temps d'aller dans plusieurs magasins, de passer souvent dans les bazars/solderies pour saisir l'occasion) etc.
Ce n'est pas le niveau de vie qui augmente mais les exigeances d'avoir tout quels que soient ses revenus, c'est aussi la jalousie de ce qu'on les autres. On ne vit plus pour soi, mais par comparaison avec les autres.
Je n'ai pas de portable, ni d'écran plasma (juste une TV leclerc), je ne change rien avant que cela tombe en panne et ma voiture a 20 ans. Vous savez quoi ? Je ne suis pas malheureuse. Je n'ai pas un seul crédit sur le dos, aucune dette et pourtant, cela fait 10 ans que je ne peux plus travailler.
SixK
SixK
Nous sommes producteur du meilleurs couscous de France!
Je vous invite à le déguster quand il vous plaira.
BOBY
Vous parlez dans cet article d'une publication le 21 septembre des dernières estimations du BIPE.
Pouvez-vous me faire savoir où je peux trouver cette publication ?
Je vous en remercie par avance.