
Ecoles qui rient, facs qui pleurent…
On peut dire ce que l’on veut de ce type de classement, en contester les critères, dénoncer la part de subjectivité dans les analyses. Ou au contraire, refuser tous ces paramètres trop quantitatifs qui ne tiennent pas compte de l’adéquation des systèmes de formation avec les projets personnels, etc., etc.
Mais quand même ! Deux publications, à un mois d’intervalle, relancent le débat sur l’avenir de la fac.
1)
Fin août, une équipe de l’université chinoise de Shanghai, Jiao Tong, tentait le classement des 500 meilleurs établissements d’enseignement supérieur mondiaux. En tête, les institutions les plus prestigieuses : Harvard, Cambridge, Stanford, Berkeley, MIT, Columbia, Princeton, Chicago, Oxford, Yale, Cornell… Un festival d’universités anglo-saxonnes (les USA s’offrant 17 des 20 premières places !).
Nos françaises ? 83 universités sont citées. Paris 6 (Jussieu) émerge à la 46ème place, Paris 11 (64ème), Strasbourg 1 (96ème) et l’Ecole Normale Supérieure (99ème). Les officiels français dont les avis ont été sollicités dans de nombreuses publications, tempèrent ce mauvais résultat :
« Le classement a tendance à privilégier les universités à caractère scientifique, dont les performances sont évaluées notamment en mesurant le nombre de publications des chercheurs et celui des récompenses (Prix Nobel, médailles Fields, etc.) ». Soit ! Ca agace quand même…
Permettez-moi d’ailleurs cette boutade : à l’heure où toute la classe politique, malgré ses contorsions et ses lèvres pincées, défend l’idée d’une forme « d’immigration choisie » et propose d’attirer en France « la crème des étudiants étrangers comme l’ont fait les Américains avec les jeunes scientifiques vietnamiens ou indiens » (je cite un prof sur Europe 1), ces piètres classements constituent une sacrée contre-publicité.
En tant qu’universitaire de formation, j’en ressens dépit et profonde irritation.
2) Hier,
le Financial Times livrait son classement des Ecoles de commerce européennes. Les critères ? Les salaires, deux ou trois ans après avoir quitté l’école, l’opinion des chefs d’entreprise, le taux d’emploi, etc.
Et là, oh géniale surprise,
7 françaises (HEC, ESCP, EAP, EM Grenoble, EM Lyon, ESSEC, EDHEC, et Audencia) se haussent au niveau des 10 meilleures. Avec quadruple lauriers pour HEC qui caracole loin devant !
3) Je les vois venir les sceptiques avec ce genre de commentaire : « Ce n’est pas comparable, les écoles de commerce font du tri sélectif. Il est normal que leurs élèves grimpent sur les podiums. Par concours, ils ne retiennent que la crème des étudiants. Facile d’en faire de la mousse ! Alors que la fac, elle, fait du social, donne sa chance (?), forme des chercheurs ou des professeurs dont les métiers sont malheureusement moins bien rémunérés que les fonctions commerciales en entreprise ou dans le secteur financier ».
Taratata ! Il faut avoir le courage de regarder ces classements avec lucidité. Ils récompensent, pour les écoles de commerce, une politique volontaire qui s’est traduite par un formidable investissement pour organiser :
a)
Le rapprochement de l’école avec les entreprises (pas seulement comme futur employeur, mais comme source d’intérêt pédagogique).
b)
Une grande ouverture sur l’international (presque toutes les écoles de commerce de ce niveau obligent leurs étudiants à passer au moins un an à l’étranger, dans une entreprise ou dans une filière de formation).
c)
Une culture de l’excellence inhérente, certes, à un esprit de « prépa » et de « concours », mais largement cultivée en cours d’année, sollicitant rigueur et ouverture pour que les étudiants puissent intégrer les meilleures entreprises et s’épanouir dans la vie !
A l’inverse, toutes les tentatives pour réformer un système universitaire très souvent déconnecté de l’environnement économique, et même quelquefois scientifique, ont échoué. Du fait de réactions corporatistes (du type « le mammouth contre Allègre »), mais aussi parce que l’institution continue de se fourvoyer sur ses missions. Ce n’est pas peu dire que l’idéologie du service public, confondue avec celle du « tout Etat », a produit cette certitude, si ancrée dans le milieu professoral, selon laquelle la fac produit des chercheurs et des profs, mais n’a pas vocation à nourrir le privé en compétences…
Seule une poignée de facs s’en sortent. En éco, c’est Paris Dauphine, pourtant jugée comme n’étant pas une « vraie fac » (sic), qui a servi de modèle à une dizaine de campus dont les présidents se sont extraits du carcan. Et bien sûr aussi, les facs de droit ! Vu que pour des raisons budgétaires, les grands corps de l’Etat ne payent plus et n’attirent plus systématiquement les meilleurs juristes, la fac continue de pourvoir en avocats de qualité les grands cabinets français et internationaux auprès desquels l’université garde la cote.
4) J’avais, il y a quelques années, participé à une Commission de réflexion, présidée par Jacques Attali et missionnée par Claude Allègre, pour définir un nouveau « modèle européen d’enseignement supérieur ». Avec l’aide de fortes personnalités comme Georges Charpak, Axel Kahn, Julia Kristeva, Alain Touraine, Jérôme Monod, Alain Etchegoyen et quelques autres, nous avions (mai 1998) proposé une refonte des cycles universitaires, en introduisant ou valorisant la notion de « master » (réforme qui a été mise en œuvre), mais aussi préconisé un rapprochement entre universités et grandes écoles (vous imaginez la bronca !). Nous plaidions pour la mise en place d’un système d’évaluation des enseignements (initiative évidemment vouée à l’échec !). Et aussi la possibilité pour les universités de se doter de financements privés…
Mais surtout, considérant que « les missions du système d’enseignement supérieur ne sauraient se limiter à celles que le législateur a arrêtées il y a un siècle (!!!) », nous proposions la possibilité que chaque étudiant « atteigne individuellement son niveau d’excellence ». Républicain, mais pas égalitariste.
Et, cerise provocatrice sur le gâteau, « considérant qu’on ne compte que deux entreprises françaises parmi les cinquante premiers éditeurs mondiaux de logiciels, aucune société française parmi les dix plus gros constructeurs d’ordinateurs, une seule parmi les cent premières entreprises mondiales dans les biotechnologies…, les universités devraient contribuer à la création d’entreprises et à leur développement. Pour cela, elles devraient valoriser leurs recherches, prendre des brevets, organiser des entreprises en leur sein… Tous les cryptos (marxistes, maoïstes, et même trotskistes, je ne vous parle pas des anars) planqués derrière leur statut de fonctionnaire, s’étaient sentis meurtris par l’insulte.
Inutile de vous dire que tout cela est reparti au musée des énièmes rapports enterrés. Mais voilà pourquoi, à défaut d’accepter la compétition des systèmes pédagogiques et de revoir leurs missions, « l’écart s’est creusé entre les groupes sociaux dont les enfants monopolisent le meilleur de l’enseignement supérieur (grandes écoles) et les autres qui en seront de plus en plus irréversiblement exclus ».
Comment ne pas s’émouvoir des réactions aussi négatives, dans les entreprises, à la vue d’un CV uniquement universitaire ? C’est intolérable.
Amis de l’université, il faut relever le défi. Comme dirait le slogan de L’Oréal : « Parce que vous le valez bien » !
12 Commentaires
je ne suis pas d'accord avec ce classement qui a completement oublie les universites et les IAE dont celui de Nantes et son prestigieux DESS/Master II management franco-chinois:
http://chine-voyage.blogspot.com
Pierre Eugène Delacroix, professeur dans une des universités du Nord-est de la France, a reçu le Prix Nobel.
M. Cazaux, professeur à l'Université de Reims en "structure de la matière" et également Directeur de l'INSERM, a construit le plus gros microscope (il n'en existe que 3 dans le monde, dont un à Reims, l'autre aux Etats-Unis, le troisième est trés récent) qui permet d'observer le virus du Sida vivant sur une peau de grenouille, participant ainsi à la recherche mondiale en matière de santé.
L'Airbus 380 a effectué ses premiers vols d'essais sur Toulouse trés récemment. Il y a des débouchés pour les universitaires en sciences.
Ariane 5, une prouesse technique et commerciale qui permet d'affirmer que l'ESA à bien plus de notoriété que la NASA à l'heure actuelle.
Non heureusement, tous les universitaires ne finissent pas dans l'administration.
La fac a des lagunes au niveau de l'encadrement de ses élèves dans la mesure où celui qui veut travailler assiste aux cours régulièrement, les autres peuvent zapper certains cours non obligatoires mais seront obligés de travailler chez eux s'ils souhaitent réussir leurs examens.
Dans les travaux pratiques en fac, on nous a fait réaliser, en cours de chimie, un cachet d'aspirine de 1 gramme (pas plus pas moins, pour une commercialisation du produit rigoureuse), la théorie (les équations chimiques entre autres) et la pratique (réalisation et pesage du cachet d'aspirine pour déterminer la note mais aussi que la pratique et la théorie concordent bien) étant notées.
On nous a fait travailler sur des maquettes (une section d'avenues et de rues régie par des feux tricolores et des passages pour piétons gérés par des feux) de façon à concevoir électroniquement, électriquement et informatiquement (travail en assembleur) la circulation automobile d'une des villes marnaises, le but étant d'observer sur la maquette qu'aucun problème de circulation ne puisse entraîner un accident quelconque et la note dépendait évidemment du bon travail effectué. Non, justement, je pense qu'il ne faut pas être trop scolaire pour venir en fac. Peut-être aimer la pratique et la théorie justement pas comme HEC qui reste encore très théorique. Bien sûr, l'après HEC évolue dans le même sens que les facs mais toujours avec un encadrement très serré. Pour une ancienne élève de fac, je ne pense pas être indisciplinée mais il est vrai que je suis plus libre et plus indépendante que d'autres.
Tchao M.E.L.
Merci de porter haut vos valeurs qui se rapprochent fortement des mienes.
Si les nouvelles technologies de l'information vous intéressent comme elles me passionnent, je serais ravis d'avoir votre point de vue sur la question.
Je vous souhaite une très bonne continuation et espère avoir longtemps l'occasion d'admirer vos engagement et de pouvoir les soutenir si le besoin s'en faisait resentir.
Bonne journée
Erwan
Je m'explique : au cours des trois années passées en école de commerce, l'étudiant travaille sur des matières variées (droit, communication, marketing, finance...) et tournéees vers le monde de l'entreprise.
Je suis étudiant en droit (donc à l'université)... le problème est que je ne fais que du droit.
Alors nombreux sont ceux qui revent d'une réforme (utopie compte tenu des syndicats?) mais la simple création d'une nouvelle discipline qui se calquerait sur le modele de l'école de commerce serait une preuve de bon sens... en plus ça aurait le mérite de ne pas etre entéré par les syndicalistes.
issue d'une ecole de commerce, en passe de prendre la succession dans l'entreprise familiale, je faisais recemment un point avec mes amis de lycée sur les voies que nous avions empruntées par la suite, sur ce qui avait dicter ou influencer nos choix et sur les choix qui nous ferions aujourd'hui si le chemin était à refaire. Tous ceux ayant choisi une voie "professionnalisante" (bts, iut, ecole d'ingenieur ou de commerce...) sont en poste, bien dans leur boulot (qui parfois n'a plus rien à voir avec leurs études) et bien dans leur vie... les autres, ceux qui ont choisi la fac ont mis plus de temps à se trouver, sont plus "desillusionnés", ont finis par bifurquer, sont très présents dans l'enseignement (qui n'était pas leur projet premier)...
La conclusion était : si j'avais su
Comme il est temps de sortir de l'age du bac d'or, de rapprocher déjà les lycéens du monde de l'entreprise, pourquoi ne pas inscrire une culture économique obligatoire (ce serait un minimum)
Comme il est urgent aussi d'empecher des milliers de jeunes de rentrer dans des voies dont il ne sortiront pas tous diplômés, fac de langues, fac de psycho... ils sont si nombreux à atteindre la licence et à ne rien pouvoir en faire... beaucoup bascule vers la fonction publique...
encore des choix par défaut !
salutations
anne
Des choix plus politiques et anti-populaires doivent-ils passés pour remettre sur le tapis l'éternel problème de l'éducation nationale?
Tchao M.E.L.
Mon avis sur le reste est globalement similaire.
- Arrêter de former sans débouchés (socio, histoire...où va-t-on ?)
- Revaloriser les filières techniques, voire manuelles (ce mot paraît péjoratif à certains, pas pour moi suis profondément campagnard (lol) et reste en admiration devant le travail d'un charpentier ou d'un ébéniste), où la demande est forte et valorisante, ceux qui l'ont compris aujourd'hui ne le regrettent pas.
- Tout comme Anne le propose, renforcer la culture économique, que les jeunes comprennent le monde dans lequel ils vivent et cessent de croire à des utopies d'un autre temps.
- Une bonne fois pour toute, bien graver dans les crânes que l'on n'a rien sans rien.
Certains me rétorqueront que je suis un nanti, que papa m'a trouvé ma place ou que ma place était toute trouvée et blablabla. Je leur répondrais que ce qui m'attend est certainement plus dur, que je n'ai pas de filet de sécurité, que cela me passionne et que ce n'est pas un choix par défaut, après être passé par une excellente prépa et une très bonne ESC. Je nuancerais néanmoins sur les ESC : comme partout ailleurs ce n'est pas parce que l'on fait une ESC que l'avenir est tout réussi d'avance. Certains dans ces écoles passent plus de temps à profiter de ce qu'elles apportent en terme de réjouissances, et gâchent en grande partie la valeur ajoutée que cette école pourrait leur apporter. Encore une fois on n'a rien sans rien, quel que soit le cursus.
Bon courage à tous.
Pas facile d'aborder les histoires qui commencent par "socle commun de connaissances"...
J'ai suivi avec intérêts les publications, et je constate à travers vos commentaires que :
- la vieille diatribe Facs/ecoles a encore de beaux jours devant elles, les uns se jaugeant aux autres sans esprit d'équipe.
- chaque partie continue à essayer de justifier sa position et son résultat, institutions enseignantes comme élèves.
- et aussi qu'on continue à confondre "grands projets" type TGV, Airbus, Ariane, avec les incubateurs à l'américaine, qui que cela nous plaise ou non ont mis au jour des gisements de richesse incroyables, à commencer par la web economie
Je n'ai pas de solution miracle, sinon celle de s'ouvrir au maximum aux autres, et de sortir du carcan des institutions, que nos syndicalistes mélancoliques veulent à tout prix conserver : l'école devrait nous apprendre à apprendre, toujours, tout au long de la vie, et ne pas laisser penser qu'on serait fichus à cause de telle ou telle formation qu'on aurait pas eu.
Que tous nous nous mettions à l'informatique, aux sciences, aux arts, aux lettres, et qu'on arrête de se lamenter, c'était d'ailleurs la note du 1er Janvier, si je ne m'abuse.
Et pour conclure, je fais un parallèle avec la Star Academy : plutôt que d'essayer de leur apprendre à chanter et danser, on ferait mieux de se pencher sur l'écriture et la musique, totalement escamotée du programme. Et ça nous donne quelques moments de doute où de beaux jeunes gens ne connaissent plus les paroles des chansons, quand bien même il s'agit de classiques...
Un certain petit livre disait que plutôt que de donner à manger, valait mieux apprendre à pêcher, certains "cryptos" devraient s'en inspirer à nouveau !
Je retiens de vos commentaires cette nécessité : il faut améliorer la diffusion d’une culture économique réaliste. Effectivement, beaucoup de jeunes s’accrochent à des utopies que nourrissent des milliers de gourous, héritiers de vieilles idéologies ou animés par je ne sais quelle sorte d’obscurantisme. Et à force de nier le rôle des entreprises, la place même des organisations économiques et de les décrier, trop de jeunes s’illusionnent, rêvent d’une société non marchande, se cantonnent dans la critique de l’économie de marché, comme s’il existait d’autres alternatives. A défaut d’y être préparés, la plupart d’entre eux, non dotés d’une formation professionnelle ou d’une capacité opérationnelle, brandissent leur diplôme de littérature, de philosophie ou de sociologie comme carte d’un parti imaginaire, contestataire, mais qui ne saurait finalement masquer leurs frustrations. Vite, vite, il faut faire la révolution et chasser les gourous du temple.
J'ai été très intéressée par les propos que vous avez tenus lors de l'émission d'Anne Sinclair de dimanche 24 septembre dernier sur France Inter, et très intéressée surtout par la conviction avec laquelle vous avez défendu les idées auxquelles vous paraissez être attaché. Vous semblez être particulièrment attentif à la "qualité de vie" de vos salariés ; aussi, je m'étonne que votre attention ne soit pas la même concernant la "qualité de vie" des stagiaires que vos directeurs de magasin acceptent de recevoir dans leur structure. Je m'explique : un de mes fils a fait un stage de deux mois au centre Leclerc de Concarneau, (juin-juillet 2005), stage obligatoire dans le cadre de ses études (école de gestion à Angers). Sa mission était bien définie, mais il n'a pas hésité à répondre présent pour participer à la réorganisation du magasin, puisqu'il y était lors des travaux d'agrandissement que vous y effectuiez. Durant ces deux mois, il lui a fallu trouver un logement sur place, et subvenir normalement à ses besoins. En un mot,comme tout étudiant, en plus de travailler, il lui a aussi fallu ...vivre. Ne croyez-vous pas que le Centre Leclerc aurait pu lui verser une indemnité de stage, ne serait ce que le minimum qui n'entraine aucune charge pour votre société ? Pour lui, cette indemnité aurait été la moindre reconnaissance du travail accompli et une aide pour sa vie quotidienne. A ce titre, nous sommes déçus car vos propos ne correspondent pas à ce que vous laissez entendre sur les ondes. Si nous voulons que nos jeunes soient entreprenants, et entrepreneurs, ne croyez vous pas que l'exemple que les adultes, et plus spécialement les chefs d'entreprise leur donnent, est déterminant ? Je serai heureuse de connaître votre réponse...
Etudiante à l'ESCP j'ai entendu parler de l'extraordinaire conférence que vous avez tenue avec Olivier Bodot mercredi 4 janvier à laquelle je n'ai malheureusement pas pu me rendre. Cette conférence a été filmée, serait il possible d'avoir le lien sur le site de l'école ou sur le votre ?
Merci d'avance et cordialement